Un rendez-vous d'exception nous fut donné pour mercredi 12 mars. Jeté dans l'enfer du cancer, ce poète camarade, on le sait, de réputation, torche enflammée devant un rideau noir. Ce soir, c'est un récital de courage qu'il nous propose, pour le panache des mots et la fidélité à la camaraderie.
Car c'est un concept tout populaire que nous propose l'artiste, avec son Chez Leprest, terrasse et comptoir de bistrot sur un coin de scène où défileront ses invités. Il s'y reposera en accueillant ses amis, sa fille, ses enfants légitimes de la plume ciselé, ses vieux frères.
A la première apparition, c'est un homme raidi par la douleur qui fait une entrée flottante. Tonnerre d'applaudissements de connaisseurs à la fois de l'exploit et du génie. Mais, certes moins en volume que par le passé, le souffleur de vers a toujours la flamme bleue, avec l'appui de ses strophes les plus personnelles, celles qu'il s'est réservées comme par pudeur. Il se chantera lui et prêtera aux autres l'universel de ses chansons. Le ravissant "Mont Saint Aignan" (près de Rouen !) rend hommage à la première enfance, on se délecte de la métaphore filée sur "La Gitane"... cinq ou six interprétations et c'est la pause "Chez Leprest" pour Allain, laissant place à son fidèle compositeur et pianiste, magicien de l'arrangement.
Romain Didier fait sonner fort l'instrument et le chant tranche, préparant le terrain à Enzo Enzo (dont Allain signa les textes de Cantate pour la mère Méditerranée sur une musique de Didier), puis défilent sous l'oeil bienveillant du maître les Fantine Leprest, Mon côté Punk, Olivia Ruiz, Loïc Lantoine, Agnès Bihl... Une écoute pénétrante d'un homme toujours en retrait sur sa chaise, attentif et aimant. On jubile à l'interprétation franchement interlope du superbe cri d'amour au côté sud d'une chute de reins ("Ton Cul Est Rond Comme Une Horloge") par JeHaN le toulousain, et c'est peu de le dire qu'un frisson d'effroi mêlé d'admiration me traverse lorsque la salle comble rugit d'émoi quand Nilda Fernandez déclame "Connaît-on encore Leprest ? Fait-il encore des chansons ?" ("Donne-Moi De Mes Nouvelles"). L'auteur de la question sourit de son bon mot à un public complice et conquis.
Les mémoires flanchent tant la plume de Leprest emporte les consciences, tel Jamait pris d'un soudain "je sais plus, je sais plus"... Quand Leprest rejoint un convive en perdition depuis sa chaise, la sincère camaraderie prend tout son sens et l'on balance entre sentiment épique et reconnaissance du coeur.
Enfin, Allain reprend ses deux ailes, visiblement revigoré par cette session collective et un magnifique "Une Valse Pour Rien" avec Fantine. La voix est plus en hauteur, la gestuelle plus précise comme celle d'un peintre, un peu d'humour d'un coin de l'oeil en malice.
Lors de nos rappels impitoyablement gourmands, on sera gratifiés d'une sorte de manifeste Leprest, "Gens Que J'aime", en forme de remerciement fondateur des récitals du bonhomme.
C'était grand en talent. C'était généreux et intense. Ecrit pour faire pleurer les pierres, danser les soleils. C'était l'évènement bonus (Allain Leprest interrompit sa tournée en 2007 pour cause de soucis de santé) d'un joyau brut de la langue en rimes, un étincellement qu'on ne peut rater.
Séance de rattrapage le 19 avril prochain à l'Européen... |