Emmanuel Guy est un historien de l’art paléolithique, docteur en préhistoire et auteur de Préhistoire du sentiment artistique, paru en 2011. Avec son nouvel ouvrage, Ce que la préhistoire dit de nos origines, publié aux éditions Flammarion, il s’interroge sur ce que nous dit l’art préhistorique des sociétés qui l’ont produit, se plaçant à contre-courant des interprétations religieuses communément admises et nous invitant à repenser en termes de valeurs sociales cet art préhistorique.
Emmanuel Guy s’oppose à la description faite des paléontologues de sociétés paléolithiques nous décrivant des premiers humains vivant dans l’harmonie de façon totalement égalitaire, jusqu’à l’invention de l’agriculture qui, selon eux, ferait apparaître les inégalités. Pour lui, l’art préhistorique, les peintures rupestres trouvées dans différentes grottes montrent tout le contraire. Son postulat de départ est simple ; les chasseurs-cueilleurs représentent déjà une société inégalitaire avec d’un côté ceux issus des milieux pauvres, les vrais nomades et ceux issus des milieux riches qui commencent déjà à s’approprier des ressources sauvages en les stockant. Il y voit là les bases de ce qu’il appelle le "paléocapitalisme" préhistorique. La captation de ces stockages par une minorité aurait ainsi permis l’apparition de lignages dominants et l’art des grottes aurait le rôle clé d’affirmer cette hiérarchie.
Pour Emmanuel Guy, l’art préhistorique, l’art des grottes qu’il étudie, est marqué par l’imitation, servant les intérêts politiques d’une élite. Pour lui, le savoir-faire mis en œuvre dans les grottes traduit des statuts différenciés entre les individus. Ces peintures rupestres témoignent d’un degré de connaissances artistiques qui nécessite des années d’expérience et d’entrainement pour arriver à une telle maîtrise artistique. Cela suppose la désignation d’individus d’un groupe pour peindre, une spécialisation et la transmission d’un savoir artistique. Ces artistes ont alors un statut supérieur, induisant inévitablement des inégalités sociales. Ces inégalités sociales sont alors visibles dans les rites et pratiques funéraires, certains hommes étant inhumés, une minorité, avec un riche mobilier funéraire.
L’ouvrage d’Emmanuel Guy est tout simplement passionnant, adapté à tous les lecteurs qu’ils soient spécialistes ou pas de la préhistoire. Une série de photos, de cartes et de schémas, au milieu de l’ouvrage, permet d’éclairer les propos de ce spécialiste de l’art préhistorique. On comprend pourquoi les grottes sont situées à des emplacements stratégiques et représentent des lieux de pouvoir avec des dessins identiques de site en site répondant à trois grands principes conventionnels. On comprend aussi qu’au paléolithique, la violence est déjà consubstantielle aux sociétés hiérarchisées.
Emmanuel Guy s’interroge enfin, à la fin du livre sur la disparition brutale de l’art paléolithique, continue et prolonge sa discussion proposant que le néolithique s’apparenterait plus à une évolution qu’à une révolution.
Né d’un questionnement strictement artistique, dont les implications touchent au fondement des premières sociétés humaines, ce que l’art préhistorique nous dit de nos origines est un ouvrage qui ouvre une interprétation inédite de l’art préhistorique sans pour autant être absolument démontrée et qui est encore loin d’être totalement déchiffrée. L’essentiel est ailleurs, on a pris grand plaisir à dévorer cet ouvrage très intéressant.
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