Pièce de Marivaux mise en scène par Stephen Szekely avec Laurent Cazanave ou Michaël Pothlichet, Barthélemy Guillemard, Lucas Lecointe, Marie Lonjaret et Lyse Moyroud

Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir sur une scène "L'Ile des esclaves", comédie en un acte de Marivaux qui date de 1725. Premièrement parce qu'elle est brève, deuxièmement parce qu'elle diffère beaucoup des autres pièces de l'auteur des "Fausses confidences" et qu'il est donc difficile de l'associer avec une autre de ses œuvres.

On attend habituellement du théâtre de Marivaux des constructions subtiles entre les personnages, des jeux de dupes entre maîtres et domestiques, tout cela dans une ambiance où l'amour et la morale ont des places de choix.

Ici, on est plutôt dans un conte philosophique où il n'y a qu'une inversion assez simple entre le statut des membres du quatuor : en naufrageant et en parvenant sur une île aux esclaves dirigée par un nommé Trivelin (Laurent Cazenave en alternance avec Michaël Pothlicet), ils voient leur "logiciel" bouleversé : les deux domestiques deviennent homme et femme libre pendant que leurs maîtres suivent le chemin contraire.

Les discours des uns et des autres sont sans fioritures, la langue est moins chatoyante et chantourné que dans les pièces longues. Chacun se décrit, analyse sa situation d'avant et celle actuelle. Domine le personnage d'Arlequin (Barthélémy Guillemard) qui n'a aucun mal à dire ses quatre vérités à son maître, Iphicrate (Lucas Leconte), qui lui ne se posait aucune question sur la légitimité de son rang. Sa vanité l'empêche d'abord de s'interroger sur son malheur soudain. Mais on sent qu'il ne va pas longtemps s'entêter et acceptera vite la situation nouvelle.

Du côté des deux femmes, c'est un peu la même chose, mais on sent chez l'ancienne "esclave", Cléanthis (Lyse Mayroud), plus d'acrimonie contre son ancienne maîtresse, Euphrosine (Marie Lonjaret). Pareillement, quand chacun fera un pas l'un vers l'autre, elle sera la dernière à accepter à renoncer à son droit à une "vengeance sociale". Car, évidemment, Marivaux, si on l'a dit ancêtre du marxisme, est aussi un pré-humaniste et l'on peut lire "L'ile aux esclaves" comme un discours modéré pour l'égalité entre les hommes et une critique de l'injustice sociale. D'autant plus insupportable qu'on voit bien qu'Arlequin et Cléanthis s'adaptent parfaitement à leur nouvelle condition.

On appréciera la qualité de l'entreprise de Stephen Szekely qui se bat contre un plateau peut-être trop étroit pour que ses comédiens puissent s'y mouvoir et ne point rester statiques quand ils doivent échanger. On les félicitera de se battre contre ses contraintes et d'être conscients de la chance qu'ils ont de porter la parole de Marivaux dans une version dépoussiérée et qui a tout pour devenir un classique aussi vivant que réjouissant.