Anna la nuit résonne comme un titre de poème, et ce roman en est somme toute un, tant par l’écriture – poétique, métaphorique, impressionniste – que par les thèmes – l’amour, la mort, le bonheur.
L’auteur, José Alvarez, nous y délivre les souvenirs de son histoire, par bribes, au gré des rencontres, comme éclairant brièvement les contours d’une fresque, au centre de laquelle Anna tente de se dissimuler.
Anna, la femme qu’il aime, est une femme idéale et idéalisée, talentueuse et intelligente, aimante et libre, forte et en même temps fragile. Anna, sa femme, porte en elle cette incapacité de vivre, cette inaptitude au bonheur, qui conduit irrémédiablement au suicide.
C’est ainsi le récit de la faiblesse d’un homme qui parfois abandonne le combat, devant son impuissance à rendre Anna heureuse. Mais comment rendre l’autre heureux alors que, lucide sur son incapacité à trouver le bonheur, il affirme : "je n'ai jamais recherché le bonheur".
C’est également le récit de l’amour inconditionnel d’un homme qui parfois repart à l’attaque du mal qui ronge et érode Anna : "[Elle] sécrète une coquille, à l'abri de laquelle croît le mal qu'elle alimente et qui la tue. Mon rôle consiste à casser quotidiennement cette coquille".
D’autres fois, encore, il renonce, il abdique, et la laisse partir.
Fondateur d’une maison d’édition de livres d’art, ses parutions explorent tous les domaines artistiques du XXème siècle. De cette quête de l’esthétisme, il importe une certaine forme d’écriture picturale. Comme sur des photographies de son ami Helmut Newton, les corps, les lieux, sont mis en scène par le langage. L’Italie, l’île de Lanzarote, Paris, la Provence, sont autant d’arrière-plans, de décors aux événements marquants ou quotidiens de leur vie, ou plutôt de leurs vies.
Malgré la poésie et la beauté du texte, le suicide inéluctable car inscrit dès les premières pages, est fatalement présent. C’est un livre sombre et douloureux, quelque peu hermétique aux non-initiés, à ceux qui n’ont pas connu le Paris au début des années 70, où un certain détachement oisif et une indolence désenchantée marquaient les corps et les esprits. Un roman sans espoir, reflet d’une époque révolue, où l’ambigüité de la nuit et son monde interlope avaient encore semble-t-il une certaine élégance. |