Réalisé par Stéphane Lafleur. Canada. Drame. 1h33 (Sortie le 18 mars 2015). Avec Julianne Côté, Catherine St-Laurent, Marc-André Grondin, Francis La Haye, Simon Larouche, Fanny Mallette, Claudia-Émilie Beaupré et Juliette Gosselin.
Dans le cinéma québécois, le règne de Xavier Dolan n'est pas sans partage. Il y a deux ans, on avait dit tout le bien qu'il fallait penser de "En terrains connus" de Stéphane Lafleur. Depuis, on a aussi découvert en DVD, sa première mise en scène, "Continental ».
"Tu dors, Nicole" confirmera ce qu'on entrevoyait dans ses deux premiers films : son goût pour un cinéma incongru, riche en non-sens et qui possède une petite musique bien à lui pour rendre attachants des personnages qui, malgré tout esprit de sérieux, prennent une vraie épaisseur.
Avec Nicole et sa copine Véronique, Lafleur trace en apparence le portrait d'une jeunesse québécoise "normale", bien loin de celle déjantée chère à Dolan. Dans une société vieillissante, dans laquelle les parents se préoccupent peu du devenir de leurs rejetons, le passage de l'adolescence à l'état d'adulte traîne au point qu'on se demande s'il va ou non survenir.
Projetée hors de son quotidien par l'irruption de son frère et ses membres de son groupe de rock qui veulent profiter de la maison familiale pour enregistrer leur disque, Nicole, laissée à elle-même, ne voit la solution que dans le sommeil ou la fuite.
Dès lors, on se pose la question de savoir si "Tu dors, Nicole" de Stéphane Lafleur peut se lire comme un film rock'n'roll fantaisiste. Qu'il soit filmé dans un très beau 35 millimètres en noir et blanc lui donne un petit cousinage avec "Stranger than paradise". Comme dans le film de Jim Jarmusch, les personnages qui, pour en rajouter s'expriment dans un étrange français incompréhensible sans sous-titres, sont nonchalants, parlent peu, agissent encore moins.
Rarement film vide aura été aussi riche et l'on peut regarder "Tu dors, Nicole" de Stéphane Lafleur comme un film tour à tour sur les vacances et l'immense sentiment de vacuité qu'elles génèrent. Si l'on aime un monde absurde où l'on peut arroser des plantes avec du lait ou rencontrer un garçon d'une petite dizaine d'années flanqué d'une voix rauque d'adulte, on sera à l'aise dans "Tu dors, Nicole".
Pendant américain du Néerlandais Alex Van Warmerdam et du Suédois Roy Andersson, et comme eux descendant direct de Luis Bunuel, Stéphane Lafleur s'en écarte par une moindre rigueur formelle, sans doute parce que son cinéma est encore en gestation. Quand il affrontera plus directement les vices et les travers, voire les tabous de la société québécoise, Xavier Dolan risque de vraiment trembler...
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