Adaptation et mise en scène des l'épopées antiques d'Homère par Pauline Bayle, avec Soufian Khalil, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Paola Valentin et Charlotte Van Bervesselès. Deux fois une heure trente, quelques chaises, un peu de paillette, de la terre et beaucoup de sang.
C’est le temps et le matériel nécessaires à Pauline Bayle et à sa troupe de jeunes et talentueux comédiens pour traverser vingt années de guerre et d’errance, invoquer une centaine de personnages, capturer le souffle dramatique et l’élan héroïque des deux épopées homériques que sont l’Iliade et l’Odyssée.
Pas de levée de rideau. Le spectateur est propulsé sans ménagement au cœur de la tourmente, qui débute avant même l’entrée en salle, par la colère d’Achille envers Agamemnon.
Ulysse, le plus rusé des grecs, fend la foule ébahie pour tenter de désamorcer une brouille qui coutera cher aux deux camps. La guerre est là, pas de doute, et elle déchire depuis 9 ans les Grecs et les Troyens. Ulysse, lui, mettra encore 9 ans, une fois la guerre finie, pour retrouver la paix.
Sur un plateau nu, Pauline Bayle propose une mise en scène qui va à l’essentiel. Pas de décor, pas de costume, peu d’artifice, mais un sens instinctif, presqu’organique, du mouvement, du rythme, de la texture, de l’esthétique.
Grâce au fabuleux travail de lumière de Pascal Noël, les espaces naissent et meurent, les personnages entrent en scène sans jamais l’avoir quitté, les images se figent mais sans temps mort. Il y a un retour aux sources, à la terre, à l’animalité première des personnages et des situations assumé.
Les voix portent, le sang empoisse, l’eau jaillit, la terre macule. Les vers, rendus à leur oralité première, déclamatoire, hypnotisent, fascinent dans un rendu à la fois horrifique et admirable pour l’Illiade, troublant et envoutant tout au long de l’Odyssée.
Pauline Bayle brouille les frontières, allant au-delà des clivages et du manichéisme. Les oppresseurs sont bientôt les opprimés. Les hommes transcendent épisodiquement leur condition mortelle et les dieux semblent parfois affreusement communs. La tragédie se succède au grotesque et pointe du doigt les démêlés érotico-politiques des puissants pour qui tout cela n’est, au final, qu’un jeu.
Les cinq comédiens - Soufian Khalil, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Paola Valentin et Charlotte Van Bervesselès - se fondent indifféremment dans la peau de tous les personnages, brouillant les genres, les âges, interprétant héros ou héroïne, mortel ou déesses. Ils se démultiplient, sorte de chœur antique, pour invoquer tour à tour Hector, Patrocle, Ulysse, Calypso dans une interprétation puissante et juste.
Mise à nue, l’œuvre d’Homère transcende les époques et trouve un étrange écho dans une actualité troublée, divisée, empreinte d’une sourde révolte. Une grande réussite. Du grand théâtre. |