Comédie de Molière, mise en scène de Luc Bondy, avec Gilles Cohen, Lorella Cravotta, Léna Dangréaux, Victoire Du Bois, Françoise Fabian, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Clotilde Hesme, Yannik Landrein, Micha Lescot, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse et Pierre Yvon.
Si les "Molière" existaient encore, la version de "Tartuffe" de Luc Bondy aurait sans doute raflé les statuettes pour le très beau décor de Richard Peduzzi, la lumière de Dominique Bruguère, les costumes d'Eva Dessecker et même les maquillages et les coiffures de Cécile Kretschmar qui contribuent à donner leur étrangeté à l'Elmire longiligne de Clotilde Hesme, à la Madame Pernelle paralytique de Françoise Fabian et au Tartuffe "grand Duduche" à barbichette de Micha Lescot.
Car c'est dans un écrin brillant comme le carrelage en damier noir et blanc de la grande salle à manger où se déroule l'action de la pièce de Molière que va se nouer le drame entre Orgon, sa famille et ce "pauvre homme" de Tartuffe.
Ce décor unique néo-années 1920-1930, dans lequel vont se déployer des personnages typés comme dans un "Cluedo" ou un "Murder Case" imaginé par Agatha Christie, pourrait être celui de "La Règle du jeu" de Jean Renoir.
Et l'analogie paraît possible puisque Luc Bondy ne s'intéresse qu'à la mécanique des personnages et délaisse totalement la "comédie des dévots". Ici, Micha Lescot, Tartuffe aérien, presque lunaire, est plus un pique-assiette qu'un hypocrite. Quant à Orgon, campé par Gilles Cohen, il a plus à voir avec "L'écornifleur" de Jules Renard qu'à une victime du parti religieux.
Dans un temps où les "veilleurs", ces catholiques refusant le "mariage homosexuel" viennent prier les soirs de représentation sur le parvis du Théâtre de l'Odéon, on se demande si Luc Bondy n'a pas voulu créer un "Tartuffe apaisé". À l'inverse de versions passées où le rôle-titre pouvait être stigmatisé comme un intégriste, celle de Luc Bondy pourrait être qualifiée d' "a-religieuse".
Dès lors, certaines scènes perdent un peu de leur saveur sulfureuse et, par moments, on a l'impression que le metteur en scène se débarrasse des "passages obligés". Ainsi, habillée en noir et bien peu décolletée, Dorine n'a pas vraiment un sein à cacher à la vue de Tartuffe. Pareillement, même si Tartuffe a l'audace d'enlever la petite culotte d'Elmire, Orgon caché sous une table enrobée d'un drap guère transparent, est bien loin de l'action pour découvrir la duplicité de son ami concupiscent...
Au bout du compte, cette version soignée, parsemée de gags, assume ces parti-pris avec un aplomb "cool" qu'on mettra à son crédit. Luc Bondy ne s'adresse pas à des groupes scolaires qui viendraient découvrir un texte du répertoire, mais, tout au contraire, à un public averti qui aime jouer avec des codes qu'il connaît par coeur et pour qui le respect des grands textes n'est pas un dogme prioritaire.
Dommage seulement que Micha Lescot ne fasse que dessiner son Tartuffe décalé et n'atteigne jamais la dimension tragique des grands interprètes du rôle et que jamais le spectateur ne soit gagné par l'émotion en entendant l'un des plus beaux textes de Molière. |