Il est des concerts comme des voyages. Voyages de par le monde, sur les terres, sur les mers, les océans, voyages dans son imagination, au plus profond de soi…
Et ce dimanche soir sous forme d’apéro jazz, heureux qui comme Ulysse furent ceux à faire de beaux voyages. Dehors, l’heure bleue teinte le ciel d’une couleur qui pousse à la rêverie et à l’évasion dans cette douce ambiance du soir.
No Logic, groupe de jazz Stéphanois, entre en scène. Première étape du voyage. Piano, percussions, batterie, basse et saxo s’accordent, se désaccordent pour mieux se combiner et faire monter en soi des petites madeleines de Proust, fort réconfortantes en ce premier dimanche de printemps. Ces rythmes si typiques du jazz, toujours décousus en apparence seulement, nous portent dans un melting-pot d'ambiance.
Le morceau "Souviens-toi" nous plonge ainsi sous le soleil se couchant sur Antibes, par un bel été.
L’atmosphère devient festive : rosée frais, tintements de verre entre amis, soleil cuisant sur les peaux, l’odeur d’une grillade se fait presque sentir… Mais les sons semblent vouloir nous emmener plus loin, nous plonger dans un doux songe. Et nous voilà après une soirée entre amis, sur un voilier voguant dans les mers du Sud, pour un long voyage en solitaire… Sentimental, mais non point mielleux, le titre rassasie par sa force à nous pousser hors les murs.
Suit "The meeting", le bien nommé. Un rythme comme une rencontre : pleine de lisse et de chaos, de doutes et de certitudes, chaque étape y est reprise, une valse de sentiments qui vous remue de l’intérieur, piochant dans votre petite bibliothèque de sentiments, passés, présents et à venir…
Dans "Life", c’est le corps qui est mobilisé, dans tous ses sens. La ligne de basse devient le rythme cardiaque d’une course effrénée pour la vie, le saxo comme une sirène, une alarme, inquiète et réconforte à la fois, vite, tout va très vite, comme la vie… Le piano, par à-coup, redonne de la poésie et du calme. Fin du premier acte musical, nous voilà fin prêts pour une exploration plus profonde du monde du son et de la musique.
Le très attendu Erik Truffaz entre en scène. Mais il n’est pas seul ! Sly Johnson (THE humanbeat boxer) et Philippe Garcia, batteur de son état (THE prime) sont aussi là. Trois pointures, la rencontre d’un battement, d’un souffle, d’une voix...
Tout commence par une impro, sur cette scène épurée. Mais déjà, dès les premiers sons, on sait que c’est la musique qui donnera la couleur de la soirée, pas besoin d’artifices, ni de mise en scène édulcorée avec ce trio. Ils sont là et cela suffit.
La trompette de Truffaz semble faire vibrer les murs, la voix de Sly, ah cette combinaison de scratchs, et autres vocalises, emplit la salle d’une magie rarement vue jusqu’alors ! Sly aux pieds nus, Sly dans le strict minimum pour un maximum d'effets.
La batterie discrète mais non moins imposante de Philippe Garcia donne le rythme en arrière fond. Et l’on a envie de dire que la prestation se suffit à elle-même, que les mots sont bien faibles face à cet ovni musical, ce phénomène.
A chaque concert, on se dit que l’on vit une expérience hors du commun, qu’il n’est pas né celui qui fera mieux, qui nous le fera oublier, et bien, celui-ci, il y a fort à parier qu’il restera graver longtemps dans nos mémoires, tellement le charme agit.
Plusieurs fois, Erik Truffaz se fait discret, il laisse la vedette à Sly Johnson, marquant respect et admiration face à cet objet musical identifié human beat box (OMIHB).
Sur "Good Bye tomorrow", (composition de Sly Johnson), le son de la trompette devient un terrible écho à la douce voix de Sly. Le chant nous emmène dans un lieu sacré où la voix fait le tout, un gospel où se mêle une joyeuse tristesse, une mélancolie salvatrice, une requête à la paix et au bonheur.
Dernier morceau, lors du rappel, Sly enregistre des sons, les superpose, développe un scratch vocal sans précédent. Truffaz et Garcia le rejoignent pour une discussion musicale, ils se parlent, se répondent, se titillent, s’accordent, se combinent, fusionnent.
Un concert d’exception, pour un trio d’exception. Un de ceux qui sera marqué d’une pierre blanche. Un de ceux que l’on traquera dans d’autres salles... |