Réalisé par Gints Zilbalodis. Animation. 1h25. Sortie le 30 octobre 2024.
Après le magnifique Away paru en 2019 et évoquant, par son graphisme, le jeu énigmatique Another World, Gints Zilbalodis nous offre en 2024 le magnifique Flow (Straume en Letton). Un chat perdu dans la tourmente tente de survivre avec d’autres animaux à une montée des eaux et se voit contraint de quitter une maison jadis habitée par des humains. Ce film, comme le précédent, s’est donné comme défi majeur une absence de dialogues verbaux, et cette "contrainte" amène à une extraordinaire créativité comme en témoigne les multiples récompenses qui ont été décernées au film depuis sa sortie. Si l’auteur indiquait que l’eau représente une phobie personnelle pour lui, il nous permet d’affronter notre peur commune des catastrophes récentes ou à venir.
La question du rapport à la nature n’est pas quelque chose qui a besoin d’être thématisé en Lettonie et, je crois pouvoir dire, sans trop me tromper, qu’il fait partie de l’essence même de ce que sont les Lettons et de leur inconscient collectif. Peteris Vasks décrit très bien son attachement à la nature comme une source fondamentale d’inspiration et de transcendance. Gint Zilbalodis nous rappelle ainsi à l’humilité : de toutes ces structures et statues créées par un humain absent, aucune ne survivra à l’engloutissement. Mais force est de constater que ce film touche à certains éléments encore plus profonds.
(spoiler)
Tout d’abord, l’absence de langage induit une vertu expressionniste immanente à la narration et c’est en soi une très profonde thérapie, une contrepartie au bavardage incessant des réseaux sociaux qui réduit aujourd’hui toute parole à l’impuissance. Ainsi, dans cette histoire qui se raconte, tout acte développe une vertu symbolique extrêmement profonde et chaque nuance capte l’attention ce qui est remarquable, dans une époque surmenée par une saturation du sens. L’animation, techniquement remarquable, est appuyée par un bruitage exceptionnel ainsi que par les nappes oniriques de la musique de Rihards Zalupe. Rien d’étonnant à des arrangements aussi talentueux quand on connaît la force émotionnelle d’un morceau comme "Sauciens Veja" (notons que Zilbalodis avait créé intégralement la musique dans Away et contribue ici aussi).
Le deuxième élément qui me marque est l’intelligence du renversement des projections anthropomorphiques. Une certaine lassitude gagne tous ceux qui contemplent ces documentaires animaux dans lesquels les intentions attribuées vont au-delà des comportements pour satisfaire notre appétit de sens, là où la curiosité appelle surtout à tolérer ce qui est inconnu. Au contraire, ici, si l’on veut prendre le risque de regarder dans le miroir, ces animaux sont un petit peu nous, pris dans leur logique égoïste alors que la catastrophe réclame l’intelligence de la collaboration mutuelle. Les chiens courent après le lapin comme nous courons après les fétiches de la consommation. Le chat aidera en péchant pour tous. Mais l’oiseau qui a protégé le plus vulnérable d’entre eux et en gardera les stigmates, sera sauvé par une force inconnue et transcendante. Chaque animal trouve, en quelque sorte, son chemin thérapeutique hors de son groupe d’origine pour parvenir à un bien commun nécessaire. Le film revisite brillamment le mythe de l’arche de Noé sauf qu’ici ce sont les animaux eux-mêmes qui se l’approprient. Face aux désastres écologiques, il n’y aura pas de sauveur suprême ni de solution extérieure à nous. Seule la Baleine ne peut en faire partie malgré le rôle essentiel et salvateur qu’elle joue, ajoutant une note tragique mais malheureusement réaliste.
Par ses dimensions édifiantes et lumineuses et par la qualité de son animation Gints Zilbalodis s’inscrit dans la filiation de Hayao Miyazaki et de Paul Grimault (Le Roi et l’Oiseau). La force de ces œuvres est de pouvoir parler autant aux enfants qu’aux adultes sur des questions essentielles. Un grand chef d’œuvre qui fera date. Une grande fable pour ceux qui sont Humains, trop humains.
Gilles Deles-Velins
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