Comédie poétique d'après le texte de Oscar Wilde, mise en scène de Anne Bisang, avec Georges Bigot, Juan Bilbeny, Lolita Chammah, Vanessa Larré et Julien Mages.
Unique pièce en français du grand dramaturge anglais, même si l’intitulé de ce spectacle le fait oublier, Salomé est aussi distincte du reste de l’œuvre théâtrale de Wilde par le thème biblique et l’étrangeté des dialogues.
Hérode et Hérodias, souverains fantoches et marionnettes romaines, un jeune Syrien, Salomé, belle-fille du roi qui la désire et Saint-Jean-Baptiste (alias Iokanaan) tels sont les protagonistes de ce drame intime.
Le metteur en scène, Anne Bisang, a choisi un contexte cinématographique, parfois même de cabaret tragique, pour planter son décor.
D’emblée, sa Salomé, Lolita Chammah, murmure une ritournelle genre "Doors", grimée en Louise Brooks. Au fur et à mesure de l’action, elle deviendra une petite Marylin, une gamine butée en chemise de nuit qui ne veut pas aller dormir avant d’avoir eu sa tête de Baptiste. Derrière ses minauderies, des larmes noires, le désespoir du désir, quand on a tout. Cette Salomé étonnera, agacera, donnera à soupirer, de toutes les façons.
Auprès d’elle, un Hérode décadent, joué à la Néron par un Georges Bigot déroutant, incestueux, veule, qui mime des pas de danse, hésite dans l’énoncé de ses richesses, titube, s’effondre. Secondé par une hurlante Vanessa Larré, la reine Hérodias, jambes superbes à la Zizi Jeanmaire, oiseau de proie et maquerelle de haute volée : la mère rêvée par toute jeune fille.
Le plus émouvant de tous est dans doute Juan Bilbeny, tendre victime de ces monstres, qui bouge bien, articule et prononce parfaitement le français, vibre de présence et révèle la peur devant ces imprévisibles tandis que Saint-Jean-Baptiste/Julien Mages hésite un peu dans l’imprécation, écrasé par ce rôle de décapité qui doit hurler avant la nuit.
"Dépoussiérer la bible" écrit drôlement une dame dans la présentation de la pièce (cette génération se balade toujours un plumeau à la main) : la fine Anne Bisang n’a pas suivi ce cuistre conseil mais a su découvrir et représenter toute la part de Wilde dans le personnage de Salomé : celui qui veut, à tout prix, et obtient, afin de perdre l’autre.
"On ne tue que ce qu’on aime" : la phrase célèbre d’Oscar - hélas assénée ici en anglais, préjugeant que le monde entier est ou doit passer au globish - résume cet état d’esprit fatal qui aboutira à ce suicide social de Wilde, lui qui connaissait l’hypocrisie puritaine typiquement anglo-saxonne de l’élite qui l’avait acclamé et porté aux nues.
"Something wilde" ou wild - sauvage, en anglais - offre un étrange spectacle, porté par une vraie ambition : la révélation d’un Homme fatal.
