A l'heure de la naissance du rock, les modes se faisaient et se défaisaient contre l'avis de ceux qui se croyaient autorisés à en avoir un ou, sans en avoir, à l'exprimer tout de même. Entre temps, le monde s'est mondialisé, bel accomplissement au goût de pléonasme, et il ne saurait y avoir aujourd'hui de reconnaissance que médiatique – car le média a changé, s'honore d'un parfum de liberté, d'une présumée spontanéité, bref, d'innocence : personne ne contrôle l'internet, il est, dans son essence même, révolutionnaire ; alors les foules suivent, avec la conscience légère de celui qui n'appartient pas au troupeau ; ce n'est pas comme s'il pouvait y avoir derrière tout cela des groupes, de grands médias, une industrie, des professionnels, de grosses histoires de sous gras...

Comment alors fabrique-t-on un artiste ? Car on en fabrique, c'est certain, comme tout autre produit, que l'on vendra, même pas au plus offrant : à la masse, à la chaîne, en promo. Encore a-t-on la décence de ne pas les faire fabriquer en Asie ; ou peut-être n'en a-t-on pas encore eu l'idée...?

La recette est simple (et, lue à l'envers, elle servira de test aux curieux qui voudraient vérifier la fraîcheur de la marchandise par une très brève démarche de recherche) : écrivez une bio un peu vide de sens mais construite sur d'inédites et accrocheuses associations linguistiques, expédiez-la au plus grand nombre d'écrivailleurs publics ou privés, mercenaires en tout cas, prêts à la paraphraser, voire, mieux : à la recopier purement et simplement. Assurez-vous le buzz d'un scandale et / ou le marchepied d'une reprise bien choisie. Cultivez l'univers, le son et / ou le "concept" de l'album plus que les compositions (ce que l'on appelle : "production" ; que de sous-entendus dans un mot comme celui-là !). Annoncez l'événement. Cultivez l'hyperbole.

Ainsi de Lili Ster, qui pourrait bien être un jour la nouvelle Olivia Ruiz ou la prochaine Camille ou la descendante de l'on ne sait quelle Emilie Loizeau. Ainsi lira-t-on que ses compositions évoluent dans un univers "gorgé de mélancolie positive". On osera même nous expliquer que "ses premiers frissons musicaux n'avaient rien d'académiques : un papa batteur féru des Beatles". Si vous vous amusez à taper sur un moteur de recherche populaire son nom et celui de son album, vous trouverez d'ailleurs sur plusieurs pages de résultats de bienveillants sites internet qui auront recopié tout ou partie de cette com' officielle – pour les retrouver : leur texte commence souvent  par "un piano qui pétille, une voix mutine, et un swing virevoltant". Pour ce qui est du buzz générant l'attente du premier album (ah ! le fameux "premier album tant attendu"...), il a été assuré par une reprise du "Relax" de Mika, ce grand artiste innovateur à la carrière déjà remarquable. Figurez-vous que cet absolu non-événement a même voulu se donner des airs de polémique, comme si la brave Lili avait commis un blasphème innommable...

Le plus beau dans cette démarche de calibrage mercantile, c'est qu'il ne sert à rien de la dénoncer. On l'entretiendrait encore. Faudrait-il alors se taire, rien que cela ? Boycotter, au risque de laisser les oreilles perdues s'égarer en ces terres, s'imaginant que c'est là, réellement, que se joue la création contemporaine ? On tente le pari inverse : parler de Lili Ster et de ceux qui lui ressemblent pour ce qu'il y a d'authentique dans leur musique, aussi étouffé de froide production calculée cela soit-il. Dans l'espoir d'un système qui exigerait des artistes qu'ils cultivent l'inspiration véritable. Rêvons.

La pauvre Lili, en effet, ne méritait pas de se déshonorer en laissant passer au crible de ce formatage ses compositions fraîches, dans lesquelles on sent parfois encore un bel aplomb affleurer, malgré le nivellement variétisant qu'elles ont subi ; une sensibilité jazzy qui voudrait lorgner vers les vives écorchures d'une Janis Joplin – elle ne vous rappelle rien, cette douzième piste ? "Pas du même monde", comme une version française d'un Kozmic Blues...? Elle aurait pu, certainement, s'offrir un bel album porté par une belle personnalité. Seulement voilà, entre le succès populaire, approuvé par les majors, relayé par leurs serviteurs médiatiques, et une authentique œuvre musicale, avec ce que cela suppose de prise de risque, de choix, d'affirmation, il aurait fallu choisir, certainement. N'est-ce pas, Dr Faut ?