"Théorie du chiffon" de Marc Lambron confirme, si encore besoin était, qu'il faut se garder de croire le bandeau rouge sur la jaquette et ne pas se fier à la 4ème de couverture.

En effet, cet écrit, qualifié par son auteur lui-même de "sotie", est présenté comme traitant de la "Splendeur et misère de la mode", sous forme d'un "portait au vitriol" du milieu de la mode et d'un "regard sur l'époque à travers le prisme de la mode… pour une morale de la lucidité".

Mais Marc Lambron n'est ni Balzac, ni Chamfort, ni La Bruyère, ni Montaigne, mais, outre un romancier, un chroniqueur qui a incontestablement le sens de la formule et du raccourci sarcastique.

Cela donne un ouvrage qui pourrait constituer un petit recueil de bons mots pour briller en public mais dont la lecture est parfois fastidieuse de par la forme, celle d'entretiens retranscrits d'où une staticité certaine, aggravée en l'espèce par le propos qui passe par le petit bout de la lorgnette et le personnage de l'interviewé.

En effet, il s'agit de vrais faux entretiens initiés par un couturier septuagénaire imaginaire, sorte d'hybride chimérique composé de bribes de couturiers existants ou ayant existé avec lesquels la ressemblance ne serait pas fortuite, monstre sacré et dinosaure de la couture qui a traversé et survécu à toutes les modes, qui propose à une chroniqueuse de mode énamourée et hébétée de participer à son grand oeuvre autobiographique en enregistrant une série d'entretiens destinés à une publication posthume.

En fait, il s'agit d'une sorte de confession intime et vomitive, destinée non seulement à constituer de brèves mémoires mais surtout à témoigner ad patres combien il n'a pas été dupe du monde dans lequel il vivait et de ceux qui l'entouraient, d'un homme cynique, confit dans son ego et dont la fatuité n'a d'égale que la pédanterie du verbe qui confirme la vacuité du microcosme de la mode et du parisianisme.

Et tous sont habillés pour l'hiver, de ses homologues et néanmoins pas amis, aux clientes en passant par les incontournables rédactrices de mode, au cours d'un véritable défilé de bons mots, maximes, aphorismes et de jugements assassins non dénués d'humour dont il vaut mieux laisser la primeur au lecteur.

Par ailleurs, sur la lancée, il arrose également copieusement les travers et mythes de son époque de la télévision ("regarder les actualités télévisées revient pour moi à consulter la main courante d'un commissariat") à la politique (les ministres sont des "lucioles gyrophares") au Festival de Cannes ("guignolade" où "les égéries gavées comme des corbeilles pour poser sur le tapis rouge, toutes pitreries dehors avant d'aller voir des films où l'on pleure à chaudes larmes sur la misère du monde").

Un ouvrage à feuilleter en cas de panne d'esprit. Allez, au hasard, pour le fun, quelques définitions et réflexions croustillantes :

Autriche : un pays où le sous sol est plus habité que la surface mais où l'on chausse des patins pour ne pas abîmer les parquets"
Gotha européen : "On voit ça sur leurs nuques, blanchâtres, aussi inexpresives qu'un genou, soutenant le bulbe crânien comme un ballon d"hélium"
Famille recomposée : "les merveilleuses familles recomposées, dont le destin heureux a permis quelques années plus tard de multiplier les dossiers sur les enfants dysfonctionnels".
Monde : "le monde, c'est la mode avec un n en plus"