Il y a 10 ans, Patrick Eudeline écrivait dans le magazine Nova un article très amusant intitulé "Prisonnier à Melun" : il y rendait compte, sur un ton particulièrement acerbe, d’un périple mouvementé en zone 6 – autant dire le trou du cul du monde, pour cet adepte des virées parisiennes branchées.
A la relecture, le tableau dressé par l’ex-punk fait froid dans le dos : "La ville est une caricature. Tout y est épais, distribué comme dans Balzac et apparemment immuable". S’ensuit une recension (sans grand enthousiasme) des rares lieux où la jeunesse locale peut s’encanailler en écoutant du rock… et cette conclusion lapidaire : "We’ve gotta get off this place" !
C’est sans doute pour corriger cette image lamentable que la Communauté d’agglomération Melun Val de Seine a décidé, depuis quelques années, de promouvoir les "musiques actuelles". Une politique culturelle qui, après des concerts et journées découvertes, débouche aujourd’hui sur la publication d’un CD consacré à la scène locale : 14 titres pour quatorze artistes, majoritairement des groupes.
Première constatation : la compilation contient très peu de chansons en français. Un comble, pour un projet piloté par l’administration locale ! La tendance est à l’universalité musicale, et très peu de ces jeunes artistes osent se coltiner à la chanson ou au rock d’ici. C’est d’autant plus dommage que la mondialisation outrancière a souvent l’effet inverse de celui escompté – et tend à l’uniformisation par l’absurde. On se console comme on peut, en se disant que la qualité des chansons ne dépend pas forcément de l’idiome choisi…
Deuxième grief, beaucoup plus grave : la compilation offre une place prépondérante… au métal ! Plus de la moitié des titres relève de ce genre, mettant à mal l’idée de diversité qu’on était en droit d’attendre d’un tel projet. Les programmateurs ont sans doute leurs raisons, pour avoir ainsi privilégié les hurleurs à bracelets de force… mais cela jette, d’emblée, un a priori pénible sur le disque.
Certains textes de présentation enfoncent le clou, qui relèvent presque du comique involontaire. Un exemple parmi d’autres : "La musique du groupe Tank est un véritable obus où l’agressif côtoie le mélodique et la technique, au service des émotions les plus brutales et torturées. Ses prestations scéniques en font une véritable machine de guerre prête à tout écraser sur son passage". Ca ne s’invente pas… et nous laisse plutôt songeur.
Néanmoins, même réticent au métal, on ne peut nier que ces groupes maîtrisent leur mode d’expression : à défaut d’originalité, les prestations sont carrées, et ne sonnent jamais amateur. Certains ont même l’intelligence d’ajouter une touche de dérision à leur brouet, histoire de le rendre plus supportable : ainsi Keidola offre une impayable "Insurrection de Lazarre", ressuscitant le personnage biblique d’une voix de déterré qui ne peut être que parodique. Même chose pour Madame de Montespan (joli nom), qui détourne les clichés du genre (paroles débiles, chant outré) sur un mode hardcore satirique.
Mais le seul groupe tendance métal à tirer réellement son épingle du jeu est celui qui nuance son propos en y insufflant de vrais accents pop : Eole, dont le "Busy" peut faire penser à un Evanescence français, s’avère plutôt efficace, alternant des couplets presque funky avec de brutales accélérations castagneuses.
Parmi les autres titres échappant à la déferlante bourrine, on trouve un folkeux à guitare (Jul) marmonnant une chanson reggae sur fond de piaillements d’oiseaux. Au croisement de Tété et UB40, c’est efficace mais un peu vain. On préfère Funde et sa "Peur du lendemain", qui ne se contente pas de transposer l’idiome kingstonien à Melun, mais propose des arrangements réellement originaux, avec parties de cordes sophistiquées échappant aux clichés "roots" du genre. Bon point.
Copernic# propose une new-wave réussie, portée par une voix rêveuse énonçant des lieux communs (sweet love /lose control /ecstasy) avec assez de conviction pour que ça passe. De son côté, Etikal Lab offre un excellent titre : "You Must Wait", tube potentiel à envoyer d’urgence aux programmateurs de Ouï-FM ! Les voix lolitaesques ont toujours fait bon ménage avec le rock, particulièrement en anglais souligné d’un délicieux accent frenchy : ici, on dirait une Marie Möör susurrant un titre des Breeders période "Cannonball", tout en ruptures et accélérations. Très réussi.
Sur une rythmique rapide, Elejia offre un beau texte volontariste : "Ces Moments-là", évocation d’une maternité difficile, et de la force des gosses face à l’adversité. Thème a priori naïf, potentiellement casse-gueule… mais ça passe, car le groupe y va avec sincérité, sans se retrancher derrière une distance pop qui tuerait l’émotion. Dans le même genre risque-tout, Desko propose un rap efficace, à la fois contestataire et intelligent (oui, c’est encore possible) évoquant le poids mémoriel de l’esclavage et de la colonisation sur certains jeunes de banlieue.
Au final : à boire et à manger, sur cette compile aux choix éditoriaux discutables (prépondérance de l’anglais, domination métallique)… Néanmoins, il y a dans le lot assez de réussites attachantes, pour que l’investissement en vaille la peine.
