Comédie de Pedro Calderon de la Barca, mise en scène de Hervé Petit, avec Karim Abdelaziz, Charlotte Adrien, Caterina Barone, Jean-Claude Fernandez, Béatrice Laout, Jean-Marc Menuge et Antoine Roux.
Comédie légère et divertissante destinée à la jeunesse dorée madrilène du 17ème siècle, "La Lutine" de Pedro Calderon de la Barca, considérée comme l'une des plus brillantes comédies du siècle d'or espagnol, opère un véritable syncrétisme dramaturgique.
En effet, elle saupoudre la comédie dite "cape et d'épée" de l'impromptu scénique de la commedia dell'arte et de la légèreté élégante de la comédie galante, qui préfigure la théâtralité de Marivaux, sur laquelle se greffe une fantaisie poudrée de féerie shakespearienne.
L'argument est simple : une jeune veuve guère éplorée, interprétée en l'espèce par Caterina Barone, entend séduire l'amant dont elle est éprise, et qui se trouve être l'ami de l'un de ses deux frères qui la surveillent jalousement de surcroît hébergé sous le même toit, sans toutefois enfreindre directement les codes de bonne conduite. Elle lui écrit donc des billets qui sont déposés directement dans la chambre de l'heureux élu grâce à sa dame de compagnie pleine de ressources, interprétée avec justesse par Béatrice Lalout, en utilisant un passage secret dissimulé par une armoire, habile stratagème qui laisse croire à l'intervention d'un Hermès lutin.
Pendant que les hidalgos, hommes à l'honneur ombrageux toujours prêts à en découdre avec l'épée, s'escriment dans des duels avortés, les femmes mènent la danse, recelant sous leur aimable minois bien des malices en maîtrisant fort bien tant l'art de la dissimulation que celui de la séduction et de la badinerie, pour parvenir à leurs fins.
Tout se passe au crépuscule, entre chien et loup, et les clairs-obscurs générés par la lueur vacillante des bougies sont propices à la magie amoureuse, à l'intrigue galante, aux délicieux préliminaires et à d'amusants quiproquos avant un dénouement heureux même si s'inscrivent en filigrane les réflexions morales et politiques de l'auteur.
Hervé Petit, également auteur de la traduction qui exalte un texte à l'écriture subtile parfois éclipsée sur scène par la dynamique des rebondissements, signe une mise en scène efficace et sans esbrouffe qui laisse la part belle à cette fantaisie transposée dans un univers à la Fitzgerald pour un très réussi spectacle ludique et enthousiasmant.
Assisté d'un savoureux valet de commedia dell'arte paresseux, menteur, voleur et superstitieux mais également philosophe que Jean-Claude Fernandez rend irrésistible, Karim Abdelaziz incarne avec pétulance synonyme le fier cabarello qui s'embrase comme de l'amadou. Malheureux empêcheur de danser en rond poursuivi par une malchance carabinée qui accumule méprises et bévues, Jean-Marc Menuge donne une belle humanité désenchantée à son personnage de frère puîné et Antoine Roux est guindé à souhait en grand d'Espagne qui flageole sous les vertiges du désir.
Ce qui est bien compréhensible face aux charmes de sa fiancée, Charlotte Adrien, comédienne exquise qui tisse intelligemment son personnage avec la candeur ravissante de l'ingénue amoureuse et la sensualité incandescente de la coquette.
