Qu'attendons nous au juste de Gérard Manset ?

Celui que l'on a toujours connu, ce loup solitaire et voyageur qui crie à qui veut l'entendre son désespoir, la misère du monde et la fin de l'humanité.

Celui qui reste dans l'ombre de lui même tant et plus que jamais, il ne monte pas sur scène, ayant pour seul média ses quelques 17 albums égrenés au fil du temps avec plus ou moins de régularité.

Gérard Manset disparu depuis la sortie de Jadis et Naguère, album plus apaisé mais un peu décevant puis réapparu derrière quelques chansons aux rangs desquelles la réussite sur l'album d'Indochine, nous livre aujourd'hui un album que l'on n'attendait à peine et que l'on n'espérait plus.

Une bonne surprise du genre de celle d'un vieux pote perdu de vue et qui vous tape sur l'épaule au détour d'une rue. Alors on s'installe à une terrasse et on commence à papoter. Le temps passe mais Manset ne change pas, ou si peu. Ses textes demeurent touchants et poétiques, sa voix toujours aussi douce et vacillante, à peine démasquée le temps de quelques secondes au début de "Le coureur arrêté".

Le Langage Oublié est donc sans équivoque un "Manset" comme on dit d'un tableau qu'il est un "Magritte" par exemple. Magritte justement dont "Les demoiselles de l'Isle Adam" illustre la pochette du disque de Manset et dont le choix ne saurait être fortuit *.

Manset est plus qu'un chanteur, il est un classique. Un artiste des mots et des sons. Car les musiques de Manset sont à la foi uniques et forment un tout, souvent imitées et jamais égalées comme l'on dit, même si de belles tentatives ont été faites (souvenez-vous de la compilation-hommage Route Manset sur laquelle même Francis Cabrel livrait une interprétation honorable, comme quoi le talent ne tient pas qu'à l'interprétation).

Une fois de plus donc, la musique de Manset est dans la continuité, guitares grinçantes, cordes mélancoliques, voix déchirée cachée dans un vague écho comme un enfant appelant au fond d'un puits avec l'énergie de son désespoir. Parce que sans doute il est resté cet enfant. Peut être plus autobiographique que l'on voudrait le croire. Car Manset est aussi à la recherche de ce paradis perdu qu’est l’enfance, son enfance, et il dit lui-même : "Par comparaison, le Langage oublié serait les Mémoires d’outre-tombe, complexe, fourni, ennuyeux par certaines longueurs".

Certes le sujet n'est pas aussi vaste que le royaume de Siam mais Manset ne se rabat pas sur sa petite personne, il rêve et nous raconte, il cauchemarde et nous raconte de plus belle... Le Langage Oublié ce sont les histoires de la vie et du voyage, de la vie qui s'arrête ("Quand on perd un ami" très émouvant) et du voyageur fatigué ("le coureur arrêté").

Les textes sont à l'avenant, ici pas de bons mots ou de blagues de potaches, mais de la vraie poésie, des textes travaillés dans une langue oubliée comme il dit que trop de chanteurs modernes maltraitent de rimes trop pauvres et de formules toutes faites. Le Langage Oublié, 10 poèmes mis en musique pourrait on dire, dans un style d'un autre âge, ou plutôt un style intemporel, le style Manset d'il y a …30 ans déjà et qui n'a pas pris la moindre ride.

Plus qu'un album, il nous offre une oeuvre riche que l'on est libre de refuser mais que l'on ne voudrait échanger pour rien au monde.