Comédie dramatique d’après Lydia Tchoukovskaïa, mise en scène de Isabelle Lafon, avec Johanna Korthals Altes et Isabelle Lafon.

Valérie Blanchon et Isabelle Lafon ont puisé dans un recueil de notes d'une femme de lettres, Lydia TchoukovskaÏa, rédigé dans une forme symétrique au genre littéraire du journal - d'où le titre "Journal d'une autre" - qui retracent ses rencontres avec sa compatriote, Anna Akhmatova, poétesse renommée dont elle devient la légataire intellectuelle de son vivant.

Ce journal est celui d'une rencontre entre deux femmes de générations et aux personnalités différentes prises dans la tourmente du soviétisme et des purges staliniennes, dont le parcours révèle de nombreuses similitudes. Unies par une communauté intellectuelle, elles partagent la même conscience politique et le même sort réservé aux intellectuels déviationnistes condamnés au silence, un silence garanti par la déportation de leurs proches.

Mais le silence n'empêche pas la pensée, une pensée qui doit se contenter de l'oralité pour se transmettre, survivre aux événements et éclairer les générations futures. Et une parole, essence même de l'homme, moyen d'être au monde mais également force de résistance qui est la première cible de tous les pouvoirs totalitaires avant même l'extermination physique des opposants.

Dans la petite salle bleue du Théâtre Paris-Villette implantée en étage dans des pièces d'habitation, Isabelle Lafon signe une mise en scène sobre dans un décor sommaire. Point besoin comme elle le note de "reconstituer dans un luxe de décor la pauvreté", en l'occurrence celui de l'appartement communautaire dans lequel les deux femmes se retrouvent périodiquement. Elle apporte également un caractère quasi intemporel, malgré son ancrage historique, à une thématique universelle.

Le couple de comédiennes fonctionne en symbiose bien tempérée. Johanna Korthals Altes, la rousse, interprète avec une sérénité fougueuse le rôle de la jeune romancière fascinée par la figure tragique de la poétesse personnifiée par Isabelle Lafon, la brune. Celle-c, porte subtilement le verbe incandescent et dévorant de "l'exilée de l'intérieur" ténébreuse et charismatique.

Quand le spectateur entre dans la salle, les personnages à la présence tranquille sont déjà présents, comme l'émanation d'esprits bienveillants qui l'attendent pour lui transmettre leur parole et leur mémoire, celui-ci devenant un nouveau dépositaire reproduisant aujourd'hui, ici, ce qui s'est passé hier, ailleurs, entre les deux femmes. Quand cela est fait, ils s'en retireront sur la pointe des pieds, tirant la porte derrière eux naturellement.