Les péripatéticiens ne la concevaient qu’en marchant. Pour moi, elle reste furieusement liée à l’image du calme olympien et du pétillement bienveillant de Marie-Lou, agrégée de philosophie et professeur pour ados attardés de son état. La philo.

Adèle Van Reeth quant à elle y marine avec joie depuis un certain temps que la bienveillance m’oblige à ne pas compter. Toujours est-il qu’elle a la sagesse de ne pas cantonner la philosophie aux mains et à l’haleine douteuse de vieux ronchons convaincus que le monde est entre les mains du plus vilain des Patrick Bateman… Bien lui en a pris.

La dame "spécialiste de l’ordinaire" partage son amour de la philosophie avec le commun des mortels. Elle réussit la prouesse de vulgariser la discipline dans une émission quotidienne de France Culture. Certes, ça frise l’intello sur les ondes, mais qu’importe le contenant pourvu qu’il y ait l’ivresse. Et de l’ivresse vous en trouverez dans la philo.

Les chemins de la philosophie compile cinq ouvrages de "questions de caractère" : la jouissance, la méchanceté, l’obstination, le snobisme et la pudeur. Traits de caractères comportant moult facettes et moult infinitudes philosophiquement pointues. Aiguisez vos fourchettes, c’est parti.

Puisque la philosophie questionne, questionnons ces cinq notions que nous connaissons tous, voire que nous avons tous un jour évoqué, pour le meilleur ou pour le pire. Chaque lecteur lira ces lignes à travers le prisme de ses vécus, et les mots d’Adèle Van Reeth pourront être révélateurs dans les évidences qu’ils évoquent, mais également dans les questionnements qu’ils susciteront. Parce que la philosophie n’est pas là pour donner des réponses, elle est un exercice de triture mentale, visant à faire avancer le schmilblick. En clair, il n’y a pas d’irrésolu, il n’y a que de mauvais questionnements.

Chaque trait est présenté selon un schéma rigoureux. En guise de préliminaires, Adèle Van Reeth confronte le sujet à un philosophe, sous forme d’interview poussant toujours plus loin la réflexion des personnalités interrogées, et les limites des définitions usuelles liées au sujet. La jouissance est ainsi décortiquée par Jean-Luc Nancy, La méchanceté par Michaël Foessel, l’obstination par Myriam Revault d’Allonnes, le snobisme par Raphaël Enthoven et la pudeur par Eric Fiat.

Puis chaque trait est rapproché d’une de ses caractéristiques, d’un philosophe antique (d’un mort donc), d’une de ses limites, d’une de ses ouvertures, et minutieusement explicité, avec une pédagogie digne de la légion didactique.

En vrac, ça donne "de la différence entre la pudeur et la honte, ou pourquoi tous les adolescents devraient lire Platon", "de l’acharnement thérapeutique à l’obstination déraisonnable", "Il n’y a que le méchant qui soit seul", "De la pulsion animale au désir de l’autre : comment passer du plaisir au jouir ?", "Peut-on ne pas être snob ?"

Merci Adèle Van Reeth de démocratiser ces notions sépulcrales, de les décortiquer, les démonter, les confronter et les assembler en une joyeuse lecture allumant des loupiotes à tous les étages. Bien évidemment que les grincheux en résistance n’y trouveront pas matière à nourrir leurs chakras, les autres, orgasme de synapse garanti. Schtroumpfement vôtre. Et passionnant.