"Hollywood, la prestigieuse capitale du cinéma, avait été victime d’un étrange virement de bord. Les studios furent obligés de vendre des centaines de vieux films à la télévision. […] Je fus le témoin de sa naissance, de son âge d’or et de son déclin. Nous n’avons jamais été des rêveurs ; nous n’avions pas cessé de travailler dur sous les projecteurs, sous le soleil brûlant, dans la neige et la pluie, allant même jusqu’à placer une caméra sur la banquise. "(*)

La fin des années 50 et le début des années 60 : la chute, ou, pour reprendre l’expression choisie par la Cinémathèque française pour désigner ce programme, la décadence d’Hollywood ?

Raoul Walsh regrette ce temps béni où les films se montaient dans un joyeux chaos, où les projets s’enchainaient les uns avec les autres, où l’on savait toucher le cœur des spectateurs avec des histoires simples et universelles.

Depuis, les temps ont changé : ni Hollywood, ni le spectateur n’auraient dorénavant cette forme d’innocence. Les étoiles s’éteignent les unes après les autres. Marylin morte, James Dean disparu. Oui, ces années sont sans doute tristes pour les cinéastes qui ont vu naître le cinéma.

Mais les chants du cygne de cette génération donnent parfois lieu à des films sublimes. Il y par exemple John Ford, qui réalise en 1967 "Seven Women (Frontière chinoise" son dernier film, mais aussi l’un de ses plus beaux.

Sept femmes, dont Anna Lee, familière du cinéma de John Ford, se retrouvent dans une mission en Chine. A l’extérieur du fort, des Huns qui n’ont rien à envier aux Indiens d’antan. Livrées à elles-mêmes, elles luttent pour leur survie dans un climat lourd de tensions sexuelles.

Comment oublier aussi "Fedora", l’actrice sans âge imaginée par Billy Wilder qui retrouve encore une fois William Holden ? Dans ce film si mélancolique et si beau, tout est apparence, tout est trompeur. Et tout est magnifique.

Le conflit entre les générations, l’angoisse du vieillissement sont également au cœur de "Fedora", retranscrivant le climat de cet Hollywood décadent où se rencontrent plusieurs générations de cinéastes et d’acteurs.

Il y a les vieux briscards, bien représentés dans la programmation, de Edward Dmytryk à Otto Preminger. Il y a la génération intermédiaire, les Robert Aldrich et les Elia Kazan ; des acteurs de tout âge, de Edward G. Robinson (dans le très beau "Quinze jours ailleurs", de Vincente Minnelli, sorte de suite à cette réflexion sur le cinéma qu’était déjà "The Bad and the Beautiful (Les Ensorcelés)", toujours avec Kirk Douglas), à Warren Beatty, de Joan Crawford à Sandra Dee.

On le devine, âge et jeunesse deviennent des enjeux majeurs dans les films. Hollywood cherche à s’adapter à cette nouvelle jeunesse représentée dans "Rebel without a cause (La fureur de vivre)" de Nicolas Ray.

Concurrencé par la télévision, Hollywood multiplie les projets pharaoniques, les productions coûteuses pour raconter aussi des histoires de décadence : c’est le "Cléopâtre" de Joseph L. Mankiewicz, chamarré d’or et de pierres précieuses.

Et, dans un même temps, les mélodrames intimistes foisonnent, avec parfois des perles : dans "The Sandpiper (Le Chevalier des sables)" Minnelli réunit encore une fois le couple Burton-Taylor pour conter une grande histoire d’amour. Elle est un esprit libre qui apprend des poèmes à son fils. Il est perdu dans sa vie de famille et le calme de sa vie si organisée.

On le voit, Hollywood aborde énormément la question de la vie intime, et de la contraction entre les diktats moraux de la société et les désirs individuels. Dans le même registre, on citera le très beau "Strangers when we met (Les Liaisons secrètes)", l’histoire d’un adultère traité avec une délicatesse infinie.

C’est sans doute dans cette lignée que s’inscrit "A Summer place", présenté en ouverture du cycle. On n’attendait peut-être pas là Delmer Daves, cinéaste plus connu pour ses westerns pro-indiens que pour ses mélodrames. La Cinémathèque propose une autre de ses réalisations, "La Soif de la jeunesse". Et ce titre aurait fort bien convenu aussi pour "A Summer place", tant la question du désir et de la jeunesse sont au centre de cette histoire.

"Nous n’avions que vingt ans (A Summer place)"
Réalisé par Delmer Daves. Etats-Unis. Mélodrame. 2h10. (Sortie 1959). Avec Arthur Kennedy, Dorothy McGuire, Richard Egan, Constance Ford, Sandra Dee et Troy Donahue.

On a envie de tracer un parallèle entre ce premier film et celui d’Elia Kazan, le bouleversant "Splendor in the grass (La Fièvre dans le sang)".

Dans ces deux films, l’eau est le symbole de la passion amoureuse et du désir qui finit par engloutir le couple de jeunes gens. "A Summer place" s’ouvre sur la mer, se fracassant contre les rochers ; "Splendor in the grass" montre les baisers échangés entre deux jeunes gens devant des cascades.

Dans les deux films également, un jeune couple est au centre de l’histoire. Les personnages joués par Sandra Dee et Troy Donahue se rencontrent pendant leurs vacances dans l’hôtel que possède le père du jeune homme.

Chevelure blonde, bouche en cœur, les cils papillonnants, Sandra Dee a un visage de poupée tandis que son partenaire est bâti comme un joueur de football américain, mais avec le visage inexpressif et benêt d’un fils de bonne famille trop vite grandi. Sans doute cette beauté lisse de magazine nuit-elle au couple, qu’on a du mal à imaginer emporté par la passion, contrairement à celui formé par Nathalie Wood et Warren Beatty, plus complexe et plus déchirant.

Mais les figures parentales proposent un intéressant contre-point au couple de jeunes premiers. Les frustrations et les désillusions qu’incarnent leurs parents viennent heurter de plein fouet les personnages, les confrontant à une image vieillie et aigrie du couple.

Les parents de Johnny ? Un alcoolique cynique et ruiné qui entraine sa famille dans sa chute, tandis que sa femme regrette un amour d’antan. Les parents de Molly ? Un père chassé du lit conjugal et une mère qui n’a rien à envier à celle de Carrie dans le film de Brian de Palma.

Mais la passion n’est pas l’apanage des jeunes, et très vite, la mère de Johnny et le père de Molly tombent dans les bras l’un de l’autre. Car ils se sont connus autrefois, à l’âge qu’ont à présent leurs enfants, et ils se sont aimés. Les retrouvailles entre ces deux êtres constituent l’une des parties les plus émouvantes du film ; sur les visages vieillissants, soudain passe le spectre des beaux jours de la jeunesse.

La seconde partie, le cadre idyllique des vacances achevé, correspond à une destruction et à une reconstruction de la famille. Divorces, remariage : le film semble affirmer le droit à une seconde vie, plus heureuse.

Toutefois, le message reste ambigu, tant les personnages de conjoints délaissés sont "chargés" : alcoolisme pour l’homme, et bien sûr, frigidité pour la femme. Les modèles parentaux, auprès desquels les jeunes gens viennent chercher de l’aide, se révèlent instables et lâches. L’ancienne génération se noie dans ses contradictions et ses dégoûts.

Ces éléments narratifs sont bien la marque d’un Hollywod qui se cherche encore. Lui aussi déconstruit, il se reconstruit difficilement. "A Summer place" témoigne de ces tâtonnements. Le film mêle ainsi des répliques assez crues, des insultes - qu’on n’est guère accoutumé à voir dans des films classiques, censure oblige - à un hymne au bonheur plus qu’ambigu.

Désir et obsession de pureté rythment le film. La mère de Molly, comme le souligne avec lourdeur le personnage du père, ne cesse de vouloir désexualiser sa fille, l’espionne, guettant les traces de l’impureté à laquelle elle associe le désir. Comment ne pas penser, encore une fois, à "Splendor in the grass", où Nathalie Wood, rendue hystérique par son désir refoulé, se dresse nue devant sa mère pour lui jeter sa pureté au visage ?

Bien que le manque d’alchimie entre Sandra Dee et Troy Donahue nuise un peu aux scènes de passion, elles ne surprennent pas moins par leur intensité, et sont décrites comme l’issue normale d’un amour. Dans un même temps, l’accomplissement du désir débouche bien sur une sorte de "punition" : la grossesse, qui entraine immanquablement le mariage. Comme si le retour à la norme devait toujours encadrer ce déferlement incontrôlable de la passion.

Et pourtant, le savoir-faire de Delmer Daves fait des merveilles. Assisté de la musique de Max Steiner, compositeur vétéran des plus grands classiques hollywoodiens, le cinéaste propose une mise en scène à la fois discrète et très élégante.

Jouant à merveille du décor de plage et de la mer, sublimé par le Technicolor, il parvient à rendre émouvante une histoire a priori assez indigeste. "A Summer place" est riche de ses contradictions, et ses défauts ne parviennent pas à détruire cet objet beau et intriguant.