Comédie de Sarah Ruhl, mise en scène de Emily Wilson, avec Nathalie Baunaure, Fiamma Bennett, Yves Buchin, Dorli Lamar, Audrey Lamarque (en alternance Emily Wilson) et Marc Marchand.
"Appels en absence" dont le titre original est "Dead Man's Cell Phone", ou comment un téléphone portable et une envie inassouvie de bisque de homard peut transformer une vie et conduire à l'amour.
Mais point de méprise, Sarah Ruhl, dramaturge américaine, n'a pas concocté une énième comédie romantique à la mode étasunienne.
En effet, cette partition, au demeurant totalement atypique et singulière en ce qu'elle hybride différents registres dramatiques tout en s'affranchissant tant des réalités spatio-temporelles comme de la rationalité factuelle et des codes théâtraux, est placée sous le signe du loufoque et du fantasque.
Par ailleurs, à l'instar de l'arbre qui cache la forêt, l'opus est moins une pièce satirique sur les thématiques désormais convenues de la virtualité technologique et de l'incommunicabilité dans un monde hyper-connecté qu'une épopée métaphysique contemporaine, celle d'une "single" presque quadragénaire ordinaire et esseulée au quotidien morne.
Celle-ci, à la personnalité insaissable, névrosée perverse sous des dehors de délicieuse et inoffensive mythomane, mystérieuse envoyée céleste à la manière du visiteur pasolinien ou addict victime aux commandements du bonheurs qui cède à celui relatif à la liberté d'écrire le scénario de sa vie, s'empare du téléphone portable d'un homme inconnu qui meurt à la table voisine d'une cafeteria.
Ce téléphone va constituer son viatique non seulement pour s'immiscer dans la vie privée du défunt qu'elle va réécrire à sa façon mais le Saint Graal d'une quête personnelle qui l'érige en héroïne d'une histoire saugrenue qui mixe psychodrame familial, trafic d'organes et dons sulpiciens, et amour aux déclinaisons plutielles.
Formée à l'Ecole internationale Jacques Lecoq, Emily Wilson signe une mise en scène, éminemment lecoquienne, en ce qu'elle repose sur le jeu physique des comédiens, de la plasticité physique à la dynamique du mouvement, et efficace qui ressortit au morphing par un traitement quasi-chorégraphique qui apporte la fluidité nécessaire pour assurer les incessantes métamorphoses d'une intrigue surréaliste en jouant avec quelques éléments de décor.
Sur scène, les comédiens, pour la plupart issus de la même école, officient au diapason et campent des peronnages stérotypés dont le comportement ne saurait être appréhendé qu'à l'aune de la déraison et de la fantaisie.
Marc Marchand, le mort, Dorli Lamar, la mère narcissique et possessive, Audrey Lamarque, la veuve éplorée, Fiamma Bennett, la maitresse équivoque, Yves Buchin, le frère effacé, sont épatants et mention spéciale à Nathalie Baunaure, excellentissime, qui, avec un irrésitible air de candeur juvénile, campe l'espiègle petite bonne qui veut voir la vie en rose.