Drame de Shakespeare mis en scène par Christian Schiaretti, avec Serge Merlin,
Pauline Bayle, Andrew Bennett, Magali Bonat, Olivier Borle, Paterne Boungou, Clément Carabédian, Philippe Duclos, Philippe Dusigne, Christophe Maltot, Mathieu Petit, Clara Simpson, Philippe Sire, Julien Tiphaine, Vincent Winterhalter et Marc Zinga.
Du bruit, de la fureur, de l'action, des morceaux de bravoure. C'est un "Roi Lear" coloré, violent, bien raconté que Christian Schiaretti propose avec Serge Merlin dans le rôle-titre.
Pas question ici d'une relecture mais d'une lecture littérale dans laquelle c'est l'interprétation de chacun des protagonistes qui donne sens à l'ensemble. Qu'on connaisse parfaitement ou pas du tout le drame de Shakespeare, on en comprend d'emblée le propos : la condamnation du pouvoir absolu.
Aveuglé par la langue de bois qu'on lui déverse pour le flatter, le roi Lear fait seul le mauvais choix pour sa succession. Anticipant Montesquieu, Shakespeare pense que tout pouvoir corrompt et que le pouvoir absolu corrompt absolument.
D'où ce tourbillon vertigineux d'obsédés par le pouvoir qu'additionne le dramaturge anglais dans ce "péplum médiéval", mais Goneril et Régane, les filles de Lear, et Edmond le bâtard de Gloucester sont également mus par d'autres passions humaines (la soif de richesse, l'amour, la jalousie) qui viennent fragiliser leur quête irrationnelle de la souveraineté.
Pourquoi tout ça ? Pourquoi toute cette agitation alors que la mort est fatalement au bout du chemin ?
En plus de trois heures et demie denses, rythmées, fluides, l’errance de Lear et la souffrance de ses rares fidèles atteint la dimension d’une épopée. On ne s’ennuiera pas un instant dans ce grand spectacle qui évite toute grandiloquence malgré un décor grandiose de Fanny Garnet.
L’action se passe en effet à l’intérieur d’un grand pan de mur circulaire en bois, évoquant le Théâtre du Globe avec des ouvertures qui peuvent se rétracter, faisant office de portes et facilitant les nombreux déplacements des protagonistes.
Dans ce cadre ingénieux, bénéficiant des lumières de Julia Grand, se meuvent avec grâce des personnages qui flamboient dans des costumes magnifiques de Thibaut Welchin. Même en haillons, Lear et ses compagnons paraissent majestueux.
Reste à souligner l’interprétation. D’abord, celle tonitruante de Serge Merlin dont la colère ne connaît pas un instant de répit. Sans âge, malingre et aérien, il ressemble avant de renoncer au pouvoir à un Florent Pagny qui parlerait comme le général de Gaulle.
Puis, abandonné de presque tous, c’est un mélange de Robinson Crusoe et de l’abbé Faria attendant son Edmond Dantès qui hurle à mort. Cette interprétation sans nuances saisit le spectateur, quelle que soit sa réticence, et s’impose avec évidence.
En contrepoint, ses partenaires peuvent jouer avec plus de distance et de légèreté. On retiendra, entre autres, la prestation de Marc Zinga, très à l’aise dans le rôle du méchant Edmond de Gloucester ainsi que celle de Vincent Winterhaller donnant une dimension altière au fidèle duc de Kent.
Tous en ont en bouche la langue de Shakespeare que la traduction d’Yves Bonnefoy pousse vers la simplicité en s’épargnant de la surcharger d’un flot de mots poétiques.
Avec cette grande fresque populaire, Christian Schiaretti sert parfaitement Shakespeare et permet de la transmettre à tous les publics qui, ainsi, auront pu découvrir ce que signifie l’expression "grand spectacle théâtral". |