Performance multimedia conçue par le Collectif Or Normes, d'après un texte de Marguerite Duras, mise en scène de Christelle Derré, avec Bertrand Farge et Lydie O’Krongley.
Et puis rien. L'abîme. Un homme met en oeuvre un curieux projet.
Il demande à une femme qu'il ne connait pas si elle accepte de venir plusieurs jours de suite dans une chambre près de la plage, le rejoindre pour une expérience ou plutôt une tentative sexuelle. Ils s'accordent sur la somme d'argent qui lui sera donnée en échange.
Complaisante elle se laisse observer, toucher, caresser puis se rendort sans craindre un quelconque danger. Lui, il se questionne, attend le sursaut d'un sentiment nouveau , d'une excitation inconnue. Il est blessé et il pleure de rester si autre, devant ce corps qui vit et vibre, chaleur qui lui est refusée.
Les corps artificiellement réunis dans cette chambre anonyme sont à jamais séparés au terme du contrat.
Marguerite Duras dans "La Maladie de la mort" imagine un protocole amoureux qu'elle livre à un homme qu'elle juge froid, indifférent, au coeur éteint comme mort. Elle le place en présence d'une femme jeune, ardente, qui pourrait donner la vie.
"La maladie de la mort à travers une sorte d'exercice d'hypnose, interroge l'origine du désir, le sexe comme mort et effroi, la différence indépassable entre les êtres, ou encore la détresse profonde de celui qui ne répond pas aux attentes de la norme.
La mise en scène de Christelle Derré s'attache à respecter les indications de Duras : "Seule la femme dirait son rôle de mémoire. L'homme jamais. L'homme lirait, soit arrêté, soit en marchant autour de la jeune femme." L'homme est ainsi comme rivé à son texte, comme si c'était sa planche de salut.
Christelle Derré présente les deux antagonismes à travers l'homme habillé de noir, veste et chaussures en cuir et la femme nue sous une large robe blanche : l'épouse qui attend puis se dévêt pour montrer son corps éblouissant.
Comment ne pas superposer "le Déjeuner sur l'herbe" d'Edouard Manet où une grisette nous regarde au milieu de ces hommes habillés. Comment ne pas penser à Aphrodite sortie des eaux de Botticelli quand elle le rejoint dans la chambre, trempée. Ou encore à la Liberté guidant le peuple de Delacroix, le sein dénudé. L'érotisme du texte ne vire jamais à la vulgarité: la nudité de la femme renvoie à celle des modèles des peintres.
L'habillage musical de David Couturier est un élément de tout premier plan dans ce spectacle. Il correspond au rythme lent, tortueux du récit, et rend palpable les roulements de la mer, si proche, comme le battement du désir toujours tenu à l'écart, hors de la chambre. Le bruit des vagues se fait entendre au loin, à la porte de cette chambre au temps arrêté. Le travail de Martin Rossi (video, lumière) qui démultiplie la femme sur des écrans transparents, renforce l'étrangeté et le malaise de cette situation sans rencontre réelle.
Bertrand Farge, l'homme qui lit Duras explore chaque phrase comme si c'était une première lecture, en pesant ce qui se joue dans les mots. Sa voix chaude, égale, transporte une sensualité retenue.
Lydie O'Krongley incarne la femme c'est à dire ici, un corps qui s'offre en totale générosité comme une fée viendrait visiter un homme au repos. La chorégraphie d'Odile Azagury lui permet d'illustrer la jouissance au travers des contorsions tout en souplesse et grâce.
Le travail de la Compagnie Or Normes a su trouver un juste équilibre qui magnifie l'univers de Duras et déplace le spectateur aux marges de l'impensé: une réussite incontestable.