Les oeuvres du jeune écrivian Gonçalo M. Tavares, chef de file de la littérature portugaise contemporaine, publiées en France aux Editions Viviane Hamy, se caractérisent par une écriture très personnelle, d'une richesse et d'un style classiques, expurgée de tout affect.

La raison et la réflexion en constituent les lignes de force essentielles (voir à ce propos ses inventions graphico-littéraires qui constitruent le "O Bairro") et même quand il opère dans le registre de la narration fictionnelle avec des personnages de papier.

Avec "Un voyage en Inde", il livre une (sa ?) réflexion sur nombre de concepts philosophiques et métaphysiques, les sciences la morale, tous les grandes thématiques intemporelles au centre des préoccupations humaines et une oeuvre atypique au regard des canons de la littérature moderne en adoptant une forme pratiquée sous l'Antiquité puis l'époque médiévale, celle des chants.

Chaque chant regroupe une centaine de stances, chacune consacrée à un thème, structurées autour un fil directeur, plus mental que concret, celui du voyage à destination d'un pays réputé pour ses principes de vie spirituelle d'un (anti)héros nommé Bloom qui, après avoir vécu une double tragédie personnelle, part chercher la sagesse et, accessoirement, une femme.

Ce roman n'est pas un récit de voyage mais une quête ("se rendre au bout du monde pour se rendre au bout de soi"), qui ressortit de l'épopée, pour lequel d'aucuns évoquent à son sujet l'"Odyssée" de Homère, le "Ulysse" de James Joyce auquel Tavares a emprunté le nom de son personnage principal, et d'autres plus lettrés encore et versés dans la littérature portugaise à "Les Lusiades" de Luís de Camões.

Mais la différence tient à l'absence des dieux. Ce qui explique sans doute pourquoi l'entreprise de Bloom, un homme ordinaire mais" doté d'une rare intelligence mentale et pratique", basée sur la seule nature structurelle de la raison, ne lui permet pas de trouver le sens de la vie et d'expliquer l'ordre du monde. A ce titre, le monde selon Bloom est quasiment beckettien.

Sous titré "Mélancolie contemporaine (un itinéraire)", le roman relate un un voyage noir, comme la mélancolie autrefois nommée bile noire, dans lequel Gonçalo M. Tavarés, qui est également professeur d'épistémologie, démontre le tragique de la condition humaine en l'absence d'absolu.

Une fois n'est pas coutume : il est vivement conseillé de commencer par la fin de cet opus fort de 460 pages afin d'en saisir la finalité - dans la mesure où s'il y a une trame narrative chronologique et des personnages il n'y a pas véritablement d'intrigue au sens traditionnel du terme - et d'anticiper sur la lecture pour ne pas être dérouté par sa structure.

Donc, à la fin de l'ouvrage, se trouve, outre l'équivalent d'un chapitrage sous forme de graphes qui répertorie tous les concepts abordés, une postface intitulée "Un voyage au coeur du chaos" rédigée par Eduardo Lourenço, écrivain et philosophe, qui permet de comprendre l'économie du projet, "une navigation immobile et fulgurante à travers notre âme de post-modernes" qui aboutit à "la confrontation, à la fois audacieuse et bouffonne, avec le chaos résultant du désespoir et de l'agonie de l'Occident condamné à l'extase vide, fasciné par la splendeur de son présent sans futur utopique, glosant sans répit sur sa proliférante absence de sens".