Fallait-il encore prouver la très réjouissante vitalité de la scène musicale indépendant nordiste ? Autour de Lille, il n'y a pas que des ch'tis booniens. Il y a aussi d'authentiques musiciens, créateurs créatifs et inventifs inventeurs.
Citerait-on, en vrac, les encore trop peu connus d'entre eux, que l'on recommandera de suivre avidement : Shiko Shiko, Minsurar, Jullian Angel, Leo(88man), Berline 033, Lena Deluxe, Moloko Veloctet, Manra, Amélie, Dylan Municipal, Nuage Nuage...? On commence, et nos lecteurs avec nous, on l'espère, à prendre l'habitude de les côtoyer en concert, ici ou même ailleurs, avec souvent un enthousiasme qui dépasse l'emballement pour les premières parties qu'ils assurent avec beaucoup de zèle ; mais on n'a encore tristement que trop peu souvent l'occasion de pouvoir s'en approprier les enregistrements. Sam Nolin, fort heureusement, n'est pas le plus avare en la matière, et son troisième, Postcard from Earth, est une merveille d'auto-production.
On parlerait à son endroit de musique lo-fi, comme si le rendu haute-fidélité n'avait pas été la priorité de cet amateur de vinyle. Et il est certain que l'on entendra dans cet enregistrement plus des craquements d'un premier pressage de Monster Movie (Can, 1969) ou Goddbye & Hello (Tim Buckley, 1967) que du son lisse que l'on encense aujourd'hui dans la presse spécialisée en hit-parade indie-hype et que l'on retrouve live à l'occasion d'un promo-festival à la petite braguette ; mais qui s'en plaindrait ? C'est qu'il fallait les convoquer, ces démons d'un temps passé où le psychédélisme ne se vendait pas encore au plus offrant, pour sertir les fêlures délicates des compositions de Sam.
L'univers musical est bariolé. Il s'y télescope des influences orientales, une fascination certaine pour le bidouillage et l'exploration des méandres de sonorités inconnues (instruments jouets, superpositions exagérées de guitares...) sans jamais verser dans l'autisme auto-satisfait du bidouillage pour lui-même. Avec autant de culture que d'inspiration, Sam et les amis qui sont venus lui prêter main forte déroulent le fil d'une écriture lumineuse. Hantée par un chant qui se situerait au centre de gravité du triangle unissant Leonard Cohen, Syd Barrett et Jackon Carey Frank, la musique prend des allures inattendues.
Il est des disques comme des voyages. Il est des voyages intérieurs. En ce sens-là, Postcard from earth est éminemment psychédélique (du grec ψυχη δηλειν – psyché delein : délier l'âme). Certainement est-ce que son auteur est aller puiser son inspiration dans ses rêveries. Si cela ne risquait de sembler exagéré, on oserait dire que ce court album est l'une des meilleures choses qu'il nous ait été donnée à entendre depuis longtemps. Certainement parce qu'il est gorgé de cette ambition simple qui ne demande qu'à écrire de la musique avec la liberté de la folie (la folie de la liberté ?), s'exprimant ainsi, sans chercher le nouvelle nouveauté qui fera un numéro 1 dans les charts (notez que l'on souligne ce mot d'un italique méprisant). La musique devrait d'abord être l'affaire d'amateurs, de musiciens, de passionnés. Do it yourself, fût-ce en lo-fi. Sam Nolin l'a compris, il ne reste plus qu'à se jeter sur l'un des deux cents exemplaires de l'album. |