Tragédie de Jean Racine, mise en scène de Muriel Mayette, avec Cécile Brune, Eric Ruf, Céline Samie, Léonie Simaga, Clément Hervieu-Léger, Stéphane Varupenne, Suliane Brahim et Aurélien Recoing.

"Andromaque" de Racine.La pièce la plus jouée et la plus aboutie du Répertoire classique… Reprendre une telle œuvre, imprimée dans la mémoire des générations, offre tous les risques et prouve une téméraire folie. Même…et surtout à la Comédie-Française.

Après avoir été rugie, intériorisée, dépoussiérée, hurlée, désacralisée, empaillée, pauvre Andromaque, comment aborder ce chef-d’œuvre français, ce dialogue de dieux qui parlent comme des hommes ?

Muriel Mayette, l’administrateur de la Maison de Molière, a dû rêver sa mise en scène (de l’importance des songes dans les choses antiques). Une aube, un grand midi, un zénith, un crépuscule, une nuit noire. Unité de temps. Le temps d’un rêve.

Chacun aime dans Andromaque : cette ombre est portée de corps en corps. La nuit triomphera, l’heure d’Hermione. Pyrrhus, trop aimé, périra. Oreste, trop aimant, sera la main. Le décor d’un temple, le vent de mer qui agite les tentures, des costumes irréels, plus ailes de papillon qu’armures ou toges, la Beauté, déesse verticale, assiste, à ce sacrifice. Ce parti de beauté et de jeunesse de Mayette scandalisera.

Hermione a les traits de Léonie Simaga, une des comédiennes les plus considérables de sa génération. Forte, terrible, belle, ingrate, avec elle nous oublions les vieilles dames sifflantes pour être bouleversés par cette intuition de jeune femme qui arrache d’elle-même des accents éternels. L’Hermione de ce temps, c’est elle. Andromaque, donné à Cécile Brune, surprend et convainc. Hermione de révolution et Andromaque classique. Le metteur en scène sait nous perdre. Pyrrhus - Eric Ruf - séduira par sa beauté et sa force. Déjà de marbre, il subit l’amour et règne sur cœurs et sujets.

Mais le choix le plus étonnant - avec Hermione - demeure celui de ce comédien d’exception qu’est Clément Hervieu-Léger, à la diction parfaite. En place d’un Oreste qui tue, par amour, mais qui tue, un jeune homme romantique et brisé, un humain égaré dans cette galerie de statues, un cri tu, porté par des mots qui le trahissent.

Ce choix audacieux porte. La disparition d’Oreste, avalé par la nuit, déchire l’âme, comme la damnation d’un innocent. La troupe du Français (Stéphane Varupenne, Aurélien Recoing, Céline Samie, Suliane Brahim et Julie-Marie Parmentier, émouvante et frêle Cléone) ne révèle aucune faiblesse.

Scénographie et lumières magnifiques d’Yvan Bernard, costumes d’un autre monde de la couturière des dieux, Virginie Merlin, musique belle (un peu trop présente, parfois, trop de peur du silence) d’Arthur Besson : Muriel Mayette atteint son but et nous donne une version éblouissante de cette tragédie immortelle, qui vit deux heures d’horloge, ce Racine de quatre siècles, jaillissant d’interrogations sur nos âmes, qui, ainsi servi, existe et trouble.

Une grâce.