Monologue dramatique de Laura Forti, mise en scène de Alain Batis, avec Raphaël Asmoni et Stanislas de Nussac au saxophone.
Il y a le titre, non traduit. "Nema problema"."Pas de problème" ? "Sans problème" ? ("Pas de souci" diraient les gens qui parlent en sms…) Ou encore : Non-problème. Et non-solution…
L’histoire, simple, racontée par ce jeune auteur italien, Laura Forti, est celle d’un homme d’une vingtaine d’années, parti chercher ses grands-parents en Yougoslavie, qui finira, enrôlé, par tuer tous ceux que la Guerre lui impose de sacrifier. Pour oublier, il s’identifie au musicien solitaire et abandonné, Charly Parker et se fond dans sa musique, qui devient son hurlement stylisé.
La guerre civile en Yougoslavie. Cette guerre d’Europe, ouverte quelques mois après la chute du Mur, à Berlin, et la reconstitution de la Grande Allemagne, qui va saigner au cœur du Continent, provoquer la disparition de cette nation slave créée pour vivre ensemble, au-delà des différences raciales et religieuses, hante les mémoires et les consciences, aussi atroce que la guerre d’Espagne, et peut-être, anticipation d’une autre.
"L’horrible mot anglais sniper(qui a le son "peur" dans sa musique de balle) revient sans cesse. Des jeunes gens, égarés des jeux-vidéo, visent des personnes isolées, cibles mouvantes, et les tuent au hasard, à Zagreb, comme à Sarajévo. En français, ce sont des "francs-tireurs", ici, des fourbes-tireurs, laissons-leur l’horrible mot anglais dont vont raffoler les journalistes d’hôtel.
Les descriptions de Laura Forti, atroces, évoquent les amputations, les massacres aveugles, et dos à dos, dans leur infernale sauvagerie, Croates, Bosniaques ou Serbes, piétinent les crucifix, renversent les autels, mutilent l’enfance, poussés par un ennemi invisible et organisé qui les ravitaille en mitraillettes et mines tueuses.
Raphaël Almosni incarne ce spectre, retour d’enfer, passé de la jeunesse à la rumination, avec une grande justesse, une force, une présence qui n’est pas sans rappeler le dernier voyage d’un Céline. Le musicien, Stanislas de Nussac, traduit cette douleur en saxophone, gémit quand l’autre explique, souffle le vent et l’après.
Il fallait la mise en scène d’Alain Batis, sobre, funèbre, qui fait jaillir la lumière dans les meurtrières, dans l’action tueuse et lorsque la dalle se referme sur l’éternité, lumières essentielles de Jean-Louis Martineau. Ici, aucune facilité : pas de musique pour faire passer le texte.
Mais des mots qui deviennent, magiquement, cette musique, seule interprète audible de l’Horreur au printemps, dans un vert pays chrétien d’Europe.
Fusion aboutie et dévastatrice.
