Comédie de Georges Feydeau, mise en scène de Philippe Adrien, avec Vladimir Ant, Caroline Arrouas, Pierre-Alain Chapuis, Eddie Chignara, Bernadette Le Saché, Pierre Lefebvre, Guillaume Marquet, Luce Mouchel, Patrick Paroux, Alix Poisson, Juliette Poissonnier et Joe Sheridan.
Dans le célébrissime vaudeville "Le Dindon", Georges Feydeau, qui poursuit son impitoyable observation de moeurs, largue sur ses semblables un nuage de phéronomes destiné à révéler leurs pulsions intimes et à épingler la sexualité de la Belle Epoque qui fait un grand écart circassien entre tartufferie et trivialité.
Du côté de l'écriture, sans même aborder la fameuse "mécanique" qui lui est propre, Feydeau applique sa recette magique qu'il révèle bien volontiers, d'autant que peu disposent du tour de main nécessaire, qui ressortit à la pharmacologie : "J'introduis dans ma pilule un gramme d'imbroglio, un gramme de libertinage, un gramme d'observation".
Tout est dit. Reste à mettre sur scène et, quelle que soit la saison, "Le dindon" figure toujours au menu théâtral. Car tous les metteurs en scène, du mitron ou chef étoilé, l'inscrivent à leur carte, s'essayant à des recettes plus ou moins goûteuses pour accommoder le célèbre volatile, haut fait de l'écriture feydeauienne qui reçoit indéfectiblement les faveurs du public et qui, cependant, ne supporte pas la médiocrité,
En maitre-queux aguerri, Philippe Adrien, l'a bien compris et déclare avoir su patienter avant de s'y colleter. Et bien lui en a pris car il présente une volaille élevée au bon grain qui constitue la pièce maîtresse d'un poulailler complètement stupéfiant emporté dans une déferlante sismique qui emporte tout sur son passage.
Sur le judicieux double plateau tournant à contresens conçu par Jean Haas qui symbolise à la fois le tourbillon de folie qui emporte les protagonistes et la ronde infernale des quiproquos en ricochets, Philippe Adrien a réuni une brochette d'excellents comédiens qui jubilent à savourer la partition qui leur échoit.
Pour rester dans la métaphore avicole, cette basse cour comprend un quintet de couples qui offre toutes les déclinaisons sexuelles possibles. Les Vatelin, époux sans tempérament, même si monsieur s'offre une liaison outre-Manche qui relève plutôt d'un traitement hygiénique de l'ennui (Pierre-Alain Chapuis exquis en faisan) et madame, une jolie caille interprétée par Alix Poisson, caresse un fantasme égrillard.
Ensuite, le couple Pontignac avec le fameux dindon qui ressemble davantage à un pigeon priapique magistralement incarné par Eddie Chignara et une savoureuse pintade faussement vertueuse (Luce Mouchel apocalyptique) et le couple Soldignac composé de deux natures, une dinde anglosaxonne incendiaire (pétulante Caroline Arrouas) et son chapon dodu qui joue les lapin PanPan (délicieux Joe Sheridan).
Enfin, les vieux de la vieille, un militaire toujours au garde à vous face à une croupe féminine (Patrick Paroux désopilant) et sa Coco sourde (Bernadette Le Saché croquignolette) face aux jeunes à peine sortis de leur oeuf, une jolie cocotte qui n'a pas froid aux yeux (Juliette Poissonnier pétillante) et un coquelet à peine monté sur ses ergots (Guillaume Marquet épatant). Sans oublier un gentil groom en pleine puberté (Pierre Lefebvre) et un tenancier inquiétant (Vladimir Ant).
Philippe Adrien a bien saisi le mélange des genres et des gens qui en résulte et puise dans divers registres, de l'expressionnisme à la bouffonnerie en passant par le comique burlesque du cinéma muet, pour dresser un plat pour fins gastronomes qui réjouit les papilles.