Il y a comme cela quelques petites choses, qui font regretter, que la rentrée ne soit pas si proche, pour découvrir dans l’impatience, une pépite dénichée par ces chercheurs d’or que sont les Editions Monparnasse. Un film qui sortira le 7 septembre 2010 et dont j’espère que certains d’entre vous auront pu déjà l’admirer sur grand écran.
"LA DANSE, le Ballet de l’Opéra de Paris", le film de Frédérick Wiseman.
L’œuvre est originale et parfaitement filmée, à plus d’un titre. D’abord et avant tout parce qu’il n’y a aucun commentaire, vous immergeant alors, d’emblée, dans la "grande maison". Vous plongez tête la première dans le film avec l’assurance thérapeutique d’un bien-être enivrant. Cette apesanteur est due aux longues séquences qui ont le bénéfice d’être toutes explicatives dans la beauté.
Et ne croyez pas que ce petit monde cloîtré ne se compose que du corps de ballet de 150 danseurs ?
C’est la seconde surprise du film. Un coup de Maître. Ne pas ignorer "l’intendance". Fréderick Wiseman pose la caméra , là, où tout le monde ne l’attendait pas, offrant une ligne de force supplémentaire à un documentaire qui montre sans démontrer à travers mille et une vies, ceux qui font battre le cœur du Ballet de l’Opéra de Paris.
Cette vie est la colonne vertébrale du film.
Le parti pris du filmage est en accord avec ce vaisseau "fantôme". Dès l’ouverture, les premiers plans nous renvoient chez Gaston Leroux et son "Fantôme de l’Opéra". On est là, dans les silences ensorcellements du navire. Silence comme seul compagnon de l’image. Il n’y a pas plus bel hommage.
Il nous faudra un certain nombre de plans pour doucement, entre les coursives, monter jusqu’à la scène et doucement s’approprier l’ambiance humaine et s’ouvrir au film.
Le réalisateur bostonien (Ah ! Quelle belle ville que Boston) n’en est pas à son premier coup de Maître. Ce galopin de 80 ans a l’œil vert d’un chenapan qui a toujours su où était l’intérêt de la bande. Jamais ce documentariste ne s’est égaré hors du territoire cinématographique, même si un temps, il flirta avec le professorat.
L’œuvre aujourd’hui présenté est un travail majeur dans le monde du documentaire. ( Il faudra bien un jour remettre les pendules à l’heure et dire une fois pour toute que le Cinéma n’est qu’un, comme la République, sans distinction de style et de genre). En attendant cette Bastille que je fais mienne, "LA DANSE, le Ballet de l’Opéra de Paris" nous montre les invisibles répétitions. Balayer vos idées reçues, cantonnées, il faut bien le reconnaître dans quelques imageries d’Épinal. Non, le Ballet de l’Opéra de Paris ne se limite pas seulement à une nouvelle version du "Lac des cygnes".
L’éclectisme règne en maître et en fait son élitisme.
Voir le travail d’Angelin Prejlokaj à la recherche du geste parfait ou ce maniement d’arme (un fusil) pour "Cassette Noisette" faite dans le cadre de la classe "danse de caractère" avant de retourner dans un autre studio où un couple dans la difficulté (relative) s’approprie un pas de deux.
La vie, rien que la vie. Une respiration sociale et humaine.
Wiseman ne s’y trompe pas lorsqu’il décide se s’installer pendant douze semaines au Palais Garnier. Il prend possession de ce vaisseau de pierre mais pour mieux nous perdre. Comme sur un porte-avions, il filme les couloirs en coursives interminables, où le son lointain nous happe vers d’autres lieux sans pour autant nous offrir la direction que nous recherchions. Nous voguons au gré des images, d’un studio à un autre. Une déambulation sans but géographique, que nous fait craindre de se perdre un temps, et de se retrouver face au "fantôme" !
Mais non, les lieux sont là, et nous nous retrouvons dans les ateliers costumes. Voir la finesse du boulot. Pas de doute on est chez Dior.
C’est aussi et beaucoup (je n’ai pas écrit, trop !) Brigitte Lefèvre, chef d’orchestre à l’écoute. Aussi bien pour une danseuse au planning surchargé que lors d’une réunion avec les profs de la danse contemporaine dont les cours semblent désertés. Il y a ainsi, et vous l’avez compris, des touches de vie qui collent à la danse et forgent la vie.
Le temps de l’image est une réflexion du temps à saisir pour accepter du corps qu’il soit "Danse". Frédérick Wiseman met tout en œuvre pour cela. D’innombrables touches, à la croissance de cet Art, sont ainsi filmées, moments de grâce et de réflexion entre les danseurs et les chorégraphes, entre chorégraphes et Maîtres de ballets, aux regards de coulisses des danseurs attendant d’entrer en scène.
Le spectacle entier nous fait aussi découvrir une autre facette (mémorable réunion dans le bureau de Brigitte Lefèvre) où l’Opéra doit recevoir un groupe de mécènes, pardon de Bienfaiteurs (faudrait tout de même pas oublier l’Étiquette !). Et où s’ensuit quelques palabres pour essayer de contenter tout ce petit monde. Il faut dire tout de même que les dons vont de 5000 à 25 000 €. Là je vous laisse la surprise du dénouement.
L’aventure ne fait que commencer.
Au fait ! Combien d’entre nous savent que sur les toits de l’Opéra le miel coule à flot ? J’arrête. Retenez avant tout le filmage de ce cinéaste américain, tout en discrétion. Un respect qui offre au film ce cachet particulier qui nous fait croire, le temps de la projection, que nous participons en privilégié, à la vie intense de ce corps de Ballet.
Une ville en suspension que nombres de couloirs vous perdent volontairement dans le "vaisseau Garnier", pour mieux se faire rattraper au détour d’un studio, par ce qui n’est plus du rêve. Une réunion syndicale réunissant nombre de danseurs du corps de ballet, pour parler retraite. Hé oui ! Il y a comme cela des temps fâcheux qui brisent la beauté d’une répétition pour nous rappeler à notre bon souvenir que les artistes sont aussi des salariés.
Avoir le DVD à la maison, et s’offrir ainsi, bien au-delà d’une captation, le pan entier d’un patrimoine humain et artistique. Voilà un auteur tout en justesse. Au regard droit. Et si l’on devait inventer un terme à son art, permettez moi, modestement, de le saluer comme un cinéaste voltairien.