Le somptueux Palazzo Madama, qui abrite le Museo Civico d'Arte Antica de Turin, se tient une superbe exposition d'arts décoratifs relative à une éphémère production d'objets décoratifs représentatifs de la période Art déco.

Conçue par Valerio Terraroli, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Turin spécialiste des arts décoratifs, et Enrica Pagella, directrice du Palazzo Madama, l'exposition "Art et industrie à Turin - L'aventure Lenci 1927-1937" relate dix années de création fructueuse en symbiose totale avec le goût de l'époque.

L'exposition présente un cabinet iconographique et une sélection d'une centaine de pièces ainsi que des moules, provenant notamment de collections privées, selon un appariement double, thématique et monographique.

Elles sont mises en valeur dans une sobre et ondulante scénographie de Diego Giachello qui contraste tout en s'intégrant parfaitement dans une des vastes salle du palais baroque qui a appartenu à la famille de Savoie, et accompagnées de panneaux explicatifs discrets et didactiques ainsi que d'une vidéo resituant l'entreprise dans son contexte économico-politique.

L'intérêt de cette exposition est non seulement de révéler la richesse artistique et la variété d'une production très limitée dans le temps mais également de montrer son extraordinaire dualité entre art et industrie et signifier le succès international d'un savoir-faire artisanal régional.

La céramique Lenci : art international et industrie turinoise

En effet, la manufacture turinoise Lenci qui a commencé, au début du 20ème siècle, par la confection, selon un procédé de fabrication breveté des poupées de feutre très réalistes dont le visage était pressé dans des moules à forme pour concurrencer et démocratiser les fragiles et coûteuses poupées en porcelaine, s'est reconvertie, sous l'impulsion de l'épouse allemande de son propriétaire, Elena König-Scavini, qui avait étudié les beaux arts, dans la production de figurines décoratives en céramique.

Après avoir commencé par ses propres modèles qui célébraient la femme émancipée, elle a su choisir et fédérer de nombreux et talentueux artistes, peintres, sculpteurs, céramistes dont les créations, bien que de style et d'inspiration très différents, étaient caractéristiques des lignes force de période Art déco friande d'arts plastiques.

Et dès la 1ère Exposition Internationale des arts décoratifs de Monza et surtout l'Exposition Internationale Arts et Techniques dans la Vie moderne à Paris en 1925, les créations Lenci, objets "modernes" correspondant au style bourgeois dominant, connurent un succès fulgurant.

Objets légers, colorés, avec une gamme chromatique issue du fauvisme qui de surcroît coïncidait à la palette vive piémontaise, dans l'air du temps, alliant le foisonnement de la facture artistique du Novocento italien et le modélisme allemand, ils séduisent une clientèle avide de nouveauté.

Un des atouts de la firme a été de diversifier sa production aussi bien en termes thématiques et stylistiques qu'en proposant outre des figurines purement décoratives des objets fonctionnels.

Tels les vases, coffrets et objets des arts de la table aux confins de la sculpture l'objet de Mario Sturani qui écrivaient les prémisses du design.

La grande thématique récurrente des années 20 est la femme qui, bien que moderne et émancipée, demeure un sujet pictural qui se double d'un sujet décoratif qui fait l'objet de déclinaisons diverses.

Si l'approche figurative privilégiant l'élégance, la lascivité, l'orientalisme, la femme fleur élément du monde alliant l'animal et le végétal, domine comme les "Deux tigres" ou la voluptueuse femme endormie dans les feuilles de Sandro Vacchetti, le cubo-primitivisme a ses émules avec les nus de Gigi Chessa influencé par le sculpteur Arturo Martini.

De la femme à l'amour il n'y a que le temps d'un baiser et la thématique amoureuse est amplement illustrée par Giovanni Grande et Mario Sturani qui font, par leur expressivité multiple, l'objet d'un focus particulier.

Le couple amoureux est souvent traité de manière très "romantique" par Giovanni Grande également réputé pour ses compositions directement inspirées de thèmes mythologiques, avec un ébouriffant "Triomphe de Bacchus", et littéraires.

Quant à Matrio Sturani, il se démarque par une veine très personnelle sur le thème du cirque, de la danse (sur des coupes comme celle retenue pour le visuel de l'exposition) et du masque.

Enfin, le genre animalier trouve ses lettres de noblesse avec les créations de Felice Tosalli.

Influencé par les artistes animaliers du 19ème siècle et les céramistes allemands et danois, il excelle dans les scènes réalistes de prédation telles celle de l'hermine attaquant la chouette ou la zibeline égorgeant le coq doré.

Et en raison de son succès, l'exposition est prolongée tout l'été.