Comédie dramatique de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Mathias Moritz, avec Céline Bertin, Jacques Bruckmann, Marie Bruckmann, Débora Cherrière, Antoine Descanvelle, Guillaume Luquet, Walter M. Ponzo et Vincent Portal.

Triple prise de risques pour Mathias Moritz qui postule pour le prix du Théâtre 13 des jeunes metteurs en scène. En premier lieu, choisir comme auteur le libertaire et subversif allemand Rainer Werner Fassbinder, celui qui écrit "Je ne pose pas de bombes, j'écris des pièces" sentence mise en exergue de ce spectacle.

Ensuite, retenir un opus mineur "Liberté à Brême" qui transcende, à la lumière des thématiques fassbindériennes, dont l'échec du couple, l'amour comme instrument d'oppression sociale et les fourvoiements de l'opprimé dans sa lutte pour l'émancipation par l'élimination, et de sa prédilection pour les personnages dont le destin tragique ne peut connaître qu'un dénouement fatal, un fait divers intervenu au début du 19ème siècle.

Enfin, opter pour une mise en scène radicale et décapante à la mesure du propos, tant au fond qu'en la forme, qui, sans être intrinsèquement audacieuse ou novatrice, s'écarte délibérément tant du consensualisme mièvre tout public que du vrai ringardisme de la fausse modernité du spectacle "total".

Risques donc avec pour corollaires des partis-pris dramaturgiques assumés et des choix scénographiques et esthétiques qui usent intelligemment de la distanciation, de l'anti-naturalisme et des codes du mélodrame pour mettre en scène ce théâtre allemand, qui n'est pas un théâtre d'incarnation, de Brecht à Fassbinder le premier étant bien évidemment cité à dessein par rapport au second, est si souvent appauvri et affadi quand il est monté dans l'hexagone.

Des éclairages contrastés et saturés, du cru au glauque de Bertrand Llorca, un urinoir côté jardin, une croix massive côté cour, décor de Arnaud Verley : entre le trivial et le spirituel, une femme se débat dans une double perdition, celle de condition humaine et celle de la condition féminine au rythme d'un habillage sonore d'une outre tombe sans rédemption créé par Michael Schaller.

Autour de Marie Bruckmann, magnifique dans le rôle principal de la femme "qui pense trop pour une femme" qui n'a trouvé, dans sa revendication au bonheur et à la liberté, après l'échec de la parole, que l'assassinat pour secouer le joug non seulement de l'asservissement mais également du mépris, les comédiens de la Compagnie Dinoponera/Howl Factory, Céline Bertin, Jacques Bruckmann, Deborah Cherrière, Antoine Descanvelle, Guillaume Luquet, Walter Ponzo et Vincent Portal réalisent une prestation homogène sans faute totalement roborative.

Finalement Fassbinder posait bien des bombes. Peut-être à retardement. Et s'agissant de Mathias Moritz, d'aucuns pourraient méditer sur son approche du théâtre : "Notre travail ne sert à rien qu'à libérer son souffle (celui du personnage) en remettant au monde une pensée profondément et noblement politique". Mission accomplie en l'espèce.