Comédie dramatique de Rémi De Vos, mise en scène de David Lejard-Ruffet, avec Charlotte Petitat, Antoine Rosenfeld et Pierre-Etienne Royer.

A la fin de la pièce, lorsque la lumière se rallume et que les comédiens ont quitté le plateau, on se dit "Enfin !..." Enfin une pièce qui marie la forme et le fond, enfin une pièce drôle et irrévérencieuse mais dans laquelle le propos n'est pas qu'un prétexte pour faire quelques bons mots.

Et pourtant, au début du spectacle, lorsque Charlotte Petitat, dans le rôle de Grete, apparaît en scène vêtue d'une robe folklorique, en répétant d'une voix morne le refrain d'une chanson d'amour dans laquelle sont cités Romy Schneider et Curt Jurgens, on se dit que la soirée risque d'être longue. Mais la mécanique de la pièce s'installe doucement après une entrée en scène et présentation classique des différents protagonistes.

"Au cœur des Alpes, dans un pays "propre" où l'on porte des costumes traditionnels quand arrive le week-end, Fritz et Grete vivait heureux. Mais un jour, Grete se rend au "marché cosmopolite" afin d'acheter du détergent pour faire le ménage. Lorsque Fritz rentre de son travail, Grete lui raconte sa journée de gentille épouse qui passe sa journée à briquer son intérieur. Fritz lui explique que seul un détergent national peut nettoyer correctement un foyer conservateur tel que le leur. Or ce détail en vient à l'obséder. Il remet en question la confiance qu'il a en son épouse, d'autant qu'un balkano-carpatho-transylvanien a remarqué cette dernière dans les allées du marché cosmopolite, l'a suivie et va jusqu'à pénétrer dans le foyer et dans la femme de Fritz.

Cette farce joue des clichés, à propos du conservatisme et du nationalisme, qu'on accole généralement à la Suisse, l'Autriche ou la Bavière. Fritz (Antoine Rosenfeld) porte une culotte de peau (en laine), Grete un gilet blanc, une robe qui siérait parfaitement à Heidi, elle est blonde et coiffée avec des couettes. Yosip, le fier balkano-carpatho-transylvanien, a le regard de braise et un système pileux abondant, sombre et luisant. Comme le dit Fritz à sa femme, "Les étrangers ne comprennent rien à notre pays, Grete. Ils ne parlent de lui qu'en clichés monstrueusement caricaturaux".

L'arrivée de Yosip (Pierre-Antoine Royer) dans le cœur du foyer se transforme en une invasion de barbares. Le décor de la maison est délimité par des scotchs au sol que Yosip arrache à chaque fois qu'il entre, telles des frontières qui tombent. La scénographie est, sur ce point, aussi particulièrement astucieuse, le mur du fond, blanc, sera finalement déchiré par un Yosip qui rentre par chaque fissure, alors que Fritz devient de plus en plus hystérique, fou et violent face à ces intrusions répétées dans son petit monde jadis bien bordé. Le détail de cette bouteille de détergent, venue de l'extérieur et introduite chez eux par sa propre femme, suffit à faire s'écrouler toute sa construction mentale forgée sur des convictions sans fondements, tel un souffle d'air qui aurait fait chu un château de cartes.

Rémy De Vos, l'auteur de la pièce, a beaucoup voyagé de par le monde. Il sait donc que dans tous les pays, il y a des personnes pour tenir ce genre de propos isolationnistes et craindre les étrangers. Surtout que la peur semble aujourd'hui être redevenue une des passions dominantes de notre temps : peur du terrorisme, panique économique, xénophobie, crainte du chômage, insécurité , choc des civilisations... Les évènements partagés dans un monde de plus en plus connecté n'exprime plus des espoirs (paix, progrès, émancipation...), mais de l'effroi collectif ( 11 septembre, catastrophes naturelles, émeutes, guerres...).

Bien que globalement réussie, la pièce n'est pas exempte de quelques faiblesses. La principale semble être que, dans la mise en scène de David Lejard-Ruffet, la diction presque mécanique des acteurs indique un langage qui ne sert plus à décrypter le monde. Ce choix débouche malheureusement sur un jeu, qui dès lors devient lui aussi, un peu mécanique. Mais ceci ne suffit pas à gâcher le plaisir d'une pièce revigorante, ni à empêcher les spectateurs de rire lors de certains dialogues particulièrement réussis de cette farce bien représentative de notre époque.