Un verbe cuit à point.

On nous avait habitué à des livres de recettes comptables, comprenez qu’il fallait être fortiche en maths pour réussir à cuir des œufs à la coque… Un truc du genre à attraper la migraine avant le premier verre de vin, casser d’emblée l’ambiance des fourneaux pour une erreur de dosage. Disons-le tout net, et reconnaissons que pour beaucoup d’entre nous, une fois plongée la tête dans un livre de recette, on la ressort aussi vite de peur d’une asphyxie générale.

Vous allez me trouver méchant, sans autre jugement que mes expériences culinaires pour me la ramener… C’est vrai, vous avez mille fois raison. Enfin, même si je me débrouille un tant soit peu derrière la gazinière, à part quelques trop rares ouvrages, beaucoup me tombe trop rapidement des mains. Peut-être simplement, parce que l’on oublie qu’une recette c’est une histoire. Parfois intime. Des souvenirs à saliver. Ce plaisir de raconter, avec des ingrédients, l’anecdote qui colle à vos souvenirs ou à celle de votre copine, ça a autant d’importance que la recette. C‘est même un ingrédient indispensable de la réussite. (On a le droit de le penser, que les recettes sont en charge d’émotions).

Ne nous y trompons pas, lorsque nous sommes derrière les fourneaux et que nous avons choisi un plat, un menu à dérouler, le hasard du choix s’invite rarement, il est souvent guidé par l’atmosphère, l’odeur, le plaisir que la recette a, en charge affective.

"Cuisiner, un sentiment" de Jacky Durand vient de sortir aux Editions Carnets Nord (17€). Il est à savourer, il contient tous les ingrédients décrits plus haut. Pas d’indigestion à l’horizon, je vous l’assure. J’ai même dressé la table. Comment se fait-il que l’on ait pas pensé à cela plutôt. L’auteur a réuni sur les 248 pages du volume, du bonheur au quotidien suivi de la recette qui sent bon le plaisir du conte. Jacky Durand sait, de par son phrasé, nous réunir autour d’une bonne table ou plus simplement le coude sur le zinc d’un bistrot, pour nous raconter la même envie, quelle que soit la recette proposée, le désir est aussi gustatif. Il en devient, au fil des pages, philosophe du goût.

Le plus court chemin pour s’offrir une bonne table est d’ouvrir "Cuisiner, un sentiment" et d’humer les chroniques de Jacky Durand, journaliste à Libération qui a rassemblé 44 de ses chroniques (vous pouvez les retrouver tous les jeudis dans le quotidien), en quatre grands chapitres (nullement catalogués par saison, comme c’est souvent le cas) consacrés aux Souvenir", aux Rites, des Saisons et des Envies et enfin direction Les Lieux. Rien que des mots que l’on savoure, et qui donnent envie d’en savoir plus.

Beaucoup plus, puisque cela se lit comme un roman.

Salivons, les pieds sous la table ou alors passons le tablier pour nous rendre en cuisine. L’un comme l’autre, le plaisir, simplement, entier.

Consultons notre conte/recette au hasard du volume. La page 33 par exemple, avec "les asperges de Tante Germaine", souvenirs qui remontent à la gorge de ces moments dominicaux. Et dont l’auteur après son marché, nous propose une recette (entre autres) au risotto d’asperges (vertes) Je vous laisse sur votre faim…

Tournons quelques pages et voilà ce "Vin de noix", ce pousse-au-crime, cette boisson de faits divers (d’hiver) qui sent bon la prohibition. L’interdit fait partie également du service de table… Poussons un peu plus loin nos investigations, tournons quelques pages et nous arrivons face à un challenge. Comment faire ses courses avec 10€ ? Voilà, par les temps qui courent, quelque chose à ne pas négliger (à ne pas oublier). Combien de nos citoyens en fouillant dans leurs poches, se retrouvent avec dix euros en tout et pour tout par jour, pour se nourrir ? Je vous laisse découvrir comment Jacky Durand s’en sort avec panache et intelligence.

Une dernière et je n’irai pas plus loin dans la divulgation de ses secrets culinaires, page 185, et la description de ce petit marché normand à L'Aigle et sa spécialité "le cervelas de L’Aigle »… Posons ici les valises.

A vous de jouer le jeu, n’hésitez pas à feuilleter, dans n’importe sens, les pages de l’ouvrage et offrez-vous sans que cela en soit un véritable livre culinaire qui ne dit pas son nom, mais qui en a la chaleur humaine.

Ce n’est pas tous les jours que l’on entrouvre un bouquin qui vous donne envie de cuisiner avec la modernité du souvenir.