Comédie dramatique de Léon Werth, mise en scène de Valérie Antonijevich, avec Frédéric Jeannot, Jeanne-Marie Garcia, Nadja Warasteh, Aristide Legrand, Yves Buchin et Toma Roche.

Cette pièce a été écrite d'après les archives de l'occupation, avec le soutien du Ministère de la Défense, et d'après "Déposition - Journal de guerre 1940-1944" de Léon Werth. Il décrit le quotidien des Français pendant les années d'occupation, mais à hauteur d'homme, dans le quotidien et l'intime. Par son propos, ce projet rappelle le livre "Seul dans Berlin" de Hans Fallada qui, sous forme romancée et du côté allemand, mettait en lumière comment chaque habitant d'un immeuble, seul avec sa conscience, se retrouvait face au dilemme de l'action ou du laisser-faire devant un pouvoir politique brutal et injuste.

Le spectateur assiste à une succession de scènes, dont les personnages ne sont pas récurrents, qui montrent les comportements individualistes ou altruistes, courageux ou lâches, de gens ordinaires. C'est à l'aune de l'avancée des évènements de la guerre, de la politique d'occupation et de collaboration, que le spectateur est invité à regarder ces comportements.

Ce qui surprend en entrant au Théâtre de l'Épée de Bois, c'est d'abord le grand plateau nu, presque vide de décor. Pendant la pièce, le choix de scénographie adopté par Valérie Antonijevich renforce la solitude de chaque personnage face à autrui en raison de la suspicion généralisée. Qui collabore? Qui résiste? Qui risque de dénoncer tel ou tel comportement? Les déplacements des personnages, orchestrés par Yano Iatridès, jouent de la distance entre les corps pour montrer, physiquement, les sentiments des personnages : craintes, doutes, confrontations brutales... A droite et à gauche de la scène, des tableaux représentant des individus sans visage, dans des situations quotidiennes de l'époque, indiquent que ces prises de position, bonnes ou mauvaises au regard de l'Histoire, n'étaient pas le fait d'individus isolés mais concernaient l'ensemble de la population.

Un sentiment d'oppression vient des lumières de Stéphane Vérité, crues ou tamisées selon les scènes, laissant des zones d'ombres sur cet immense plateau désert, sentiment que renforce encore les bruits et les habillages sonores ou musicaux créés par Benjamin Chevillard. Les aspects techniques sont superbement maîtrisés.

Afin de donner des indications temporelles au spectateur, les mots du gouvernement de Vichy sont projetés, tels de courts interludes, sur le mur en fond de scène. Ils permettent d'appréhender les changements d'attitude au sein de la population en fonction des mouvements des troupes militaires. Cet éclairage sur l'héroïsme des uns mais aussi la petitesse ou l'hypocrisie des autres avait été fort justement écrite par Marcel Aymé dans "Uranus", qui moquait tous les valeureux résistants de la vingt-cinquième heure qui avaient fait leurs choux gras du marché noir pendant la guerre.

Mais, et c'est là le plus étonnant, les mots de Pétain ou du gouvernement de Vichy renvoient à notre époque actuelle. Les mots de la propagande de l'époque et de la communication politique actuelle n'ont pas énormément évolués. Les stratégies politiques de gouvernance par la peur et la désignation de boucs émissaires restent bien des pratiques courantes utilisées par de nombreux gouvernements de pays démocratiques. Cet aspect historique qui renvoie à l'époque actuelle justifie, à lui seul, de voir cette pièce.

Mais ce serait alors oublier le travail des comédiens, qui tous maîtrisent aussi bien leur texte que leurs déplacements, et donnent chair à ce texte qui parle de l'humain avant même de parler de l'Histoire.

Certes certains passages sont un peu longs, et il est difficile de maintenir son attention en constant éveil pendant les deux heures que dure cette pièce, mais le spectateur pourra au sortir de cette pièce se poser à lui aussi la question de savoir quel destin il aurait pu choisir à ce moment.