Avec "Quand souffle le vent du nord", l'auteur autrichien Daniel Glattauer raconte une histoire d'amour numérique qui s'inscrit à la fois dans l'air du temps et dans la grande tradition du roman d'amour.
Un homme, une femme, internet : la chanson est connue, suscitant clin d'œil de connivence, et la thématique de la cyber-relation, du safe-sex au mariage en passant par le coup de foudre virtuel, largement glosée depuis des lustres comme phénomène de société et déclinée, de manière plus ou moins féconde, en terme d'intrigue par les auteurs de tous poils.
L'intérêt de son opus réside d'une part en la forme. A la forme narrative parfois réductrice, il préfère livrer les messages dans leur état brut de décoffrage, c'est-à-dire sans commentaire, ni de la part de leurs auteurs ni de la sienne, à la manière d'une correspondance épistolaire avec la seule indication du temps de latence qui les sépare.
Par ailleurs, il fictionnalise à partir d'un cas de figure très circonscrit puisque cette communication purement textuelle et asynchrone, c'est-à-dire que les deux protagonistes, qui n'usent ni du dialogue en temps réel ni même du téléphone, intervient entre deux personnages qui ne participent pas de la psychopathologie de la vie quotidienne au 21ème siècle que peuvent révéler la pratique du chat et le recours aux sites de rencontre.
En effet, tout commence par la simple réitération involontaire d'une erreur d'adressage. Mais le hasard n'existe pas, et par désoeuvrement, fantasme, curiosité, excitation intellectuelle, goût d'un certain badinage, le simple échange de civilités va virer au coup de foudre entre Emmi, installée dans une relation conjugale considérée comme réussie, et Léo, en état de vacance amoureuse.
Les mails illustrent bien comment s'établit une proximité relationnelle qui se caractérise essentiellement par une intimité psychique qui s'établit à partir des mots qui en l'occurrence reflètent sincèrement l'état de leurs auteurs même s'ils véhiculent également une projection fantasmatique de l'homme ou la femme idéale.
Séduction, coquetterie, parade amoureuse, incertitude, emballement, atermoiement pour organiser une rencontre et même jalousie sont au rendez-vous et Denis Glattauer entraîne ses amants numériques dans un parcours passionnel largement connu depuis des siècles qui ressemble bien à celui de la carte du Tendre.
Tout en se plaçant dans un champ d'investigation ouvert aux sciences tant humaines que sociales, Denis Glattauer raconte tout simplement et classiquement une histoire d'amour dont le dénouement ressortit, quel qu'il soit, toujours au tragique : ce ne peut être qu'une désillusion fatale ou une passion incandescente. Mais l'auteur, qui a peut-être plus d'un tour sous sa plume, ménage bien le suspense.
Sur le fond, ce roman, à la trame fondamentalement classique, illustre deux constats anachroniques : si le coeur de l'homme serait intangible, il induit, à partir d'une relation dépourvue de communication non verbale et décorporisée, une réflexion de fond sur la fin ou du moins l'abstraction du corps qui, même si elle a été préconisée par Socrate ou Pascal, connaît une novation contemporaine avec la cyber-relation qui peut conduire à la fin du corps, notamment du corps sexuel, face aux valeurs et des expériences du paysage techno-médiatique.