Spectacle conçu et mis en scène par Pippo Delbono, avec Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò , Julia Morawietz, Pippo Delbono, Lucia della Ferrera, Ilaria Distante, Claudio Gasparotto, Gustavo Giacosa, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Mr. Puma, Pepe Robledo, Antonella de Sarno et Grazia Spinella.

Deux ans après la claque de "Questo buio feroce", voici le coup de poing avec "La Menzogna".

On ne vient pas voir un spectacle de Pippo Delbono par hasard, en passant, parce qu'il y a avait de la lumière. Aussi ceux qui se sont manifesté, ce soir-là, à coups de sifflets auraient mieux fait de ne pas venir d'autant que le courage de leur ire s'est subitement éteint quand la salle est redevenue pleins feux. Comme ceux qui l'ont quitté en cours de représentation sans doute sous l'irrésistible pression de leur âme bien pensante qui s'offusquait de tant de terreur.

Et cela précisé non pas par terrorisme intellectuel, interdisant à chacun d'exprimer sa non adhésion au spectacle, mais tout simplement parce qu'il est désormais de notoriété publique que Pippo Delbono ne fait pas dans la dentelle. Et, à cette aune, "La menzogna" est un spectacle terrifiant et peut-être salvateur.

Terrifiant non pas tant par ce qu'il donne à voir, et qui se retrouve de manière récurrente dans l'œuvre de Pippo Delbono, dont le pouvoir, la domination, la lobotomisation des masses, la suprématie toute puissante de la sphère économico-financière, les tabous, mais par la résonance de ces représentations dérangeantes - il faut quand même rappeler que c'est du théâtre - dans l'esprit des spectateurs.

Cela commence par l'évocation de l’incendie mortel qui eut lieu dans une usine de Thyssen-Krupp à Turin en 2007, et la première scène dans laquelle les ouvriers effectuent le quotidien rituel morbide de la déshumanisation et de l'habillage dans les vestiaires avant de s'engouffrer dans le tunnel noir de l'usine d'un groupe industriel qu'un film publicitaire lénifiant érige en nouveau messie planétaire et s'achève par une confession de Delbono qui se met nu et à nu face au public en dédiant ce spectacle à son père. Mais quel péché expie-t-il donc avec cette mortification pasolinienne dans ce spectacle fiévreux et hautement cathartique ?

Entre temps, pour conspuer le mensonge, diable contemporain, dans un décor métallique évoquant l’univers carcéral et froid de l’usine, mais également de tous les lieux d'enfermement, conçu par Claude Santerre, citant Shakespeare comme Koltès, usant à l'envi des l'expressivité tonitruante de Wagner et du néo-classicisme de Stravinski avec des ruptures variétales, Pippo Delbono tresse un oratorio pour l'homme défunt, spectacle quasiment sans paroles, des paroles qui sont remplacées par le silence des muets ou les aboiements des hommes qui sont devenus des chiens enragés, où seuls demeurent les corps, seule réalité tangible de l’homme et instrument du comédien.

Un spectacle particulièrement tragique et noir à consonance judéo-chrétienne dont les seuls lueurs d'espoir sont celles irradiées par les purs et les innocents, les fous, les exclus, les hors norme, les gueules cassées par le destin qui accompagnent Delbono tels Bobo le sourd et muet et Gianluca le trisomique.

En mafieux tortionnaire, Pippo Delbono, costume sombre, cheveux gominés, sillonne la scène et la salle en d'incessants aller-retours de la scène, mitraillant tout et tous avec un appareil photo, dont le flash permanent tente d'éclairer les consciences.