Fable de Ascanio Celestini, mise en scène de Charles Tordjman, avec Serge Maggiani, Agnès Sourdillon et pour le chant Giovanna Marini, Sandra Mangini, Germana Mastropasqua et Xavier Rebu.
"La Fabbrica", écrit à partir de témoignages par Ascanio Celestini, comédien, metteur en scène et auteur transalpin, qui, fort d'une formation d'anthropologue, a conçu un spectacle-monologue à la croisée du politique, du social, de l'historique et du conte, qui traite du processus d'ouvriérisation et ressortit au docu-fiction épistolaire.
Sur la scène du Théâtre des Abbesses, l'adaptation française de Charles Tordjman s'affranchit de tout réalisme pour composer un ambitieux spectacle syncrétique et décontextualisé.
En effet, dans une scénographie high tech esthétisante de Vincent Tordjman, verrière et tubulures qui vomissent une lave solidifiée pour évoquer l'activité sidérurgique, peu propice à restituer le côté très organique, vivant et expressif du milieu et de l'époque, et une mise en scène distanciée, l'opus social se double d'un exercice stylistique.
Charles Tordjman double la fresque historique que l'Italie de la première moitié du 20ème siècle, de la vertu de l'industrialisation à l'après fascisme, avec l'usine avec majuscule, la Fabbrica, investie d'un pourvoir déique de vie et de mort, non seulement économique mais également physique, sur une région, un village et ses ouailles et la narration épique haute en couleurs et en portraits pathétiques, des ouvriers aux paysans avec l'incontournable figure mystique et mythique de l'iconographie italienne, la femme, maman et putain à la figure de Madone, d'un oratorio à la condition ouvrière.
Ainsi, en contrepoint des deux officiants "narracteurs", les excellents Serge Maggiani et Agnès Sourdillon qui impulsent une vraie densité charnelle et poétique au verbe, interviennent, en s'apparentant à l'intervention d'un chœur antique, de nombreux intermèdes qui ponctuent la linéarité du récit avec des chants polyphoniques a capella dispensés par un quatuor vocal mené par la célébrissime ethnomusicologue italienne Giovanna Marini.
Avec Sandra Mangini, Germana Mastropasqua et Xavier Rebu elle interprète, outre quelques chants traditionnels sur les luttes ouvrières et la résistance politique, des chansons originales d'une facture analogue qu'elle a composé avec Ascanio Celestini.
L'ensemble, qui est dispensé d'une manière remarquable et totalement maîtrisée, en faisant vibrer des cordes plus intellectuelles que sensibles ne parvient cependant à propulser totalement le spectateur au cœur de l'humain qui constitue, quand même, l'essence du théâtre.