Le Musée Maillol rend hommage à l'amour de l'art et l'oeil affûté à sa fondatrice Dina Vierny, récemment décédée, avec deux expositions consacrées à des peintres d'origine russe, comme elle, et dont elle a su très tôt, voire la première, discerner le talent avant qu'ils n'acquièrent une renommée internationale.
Expositions qui permettent également un focus sur les collections permanentes et pour lesquelles Bertrand Lorquin, conservateur du musée, a décidé de présenter “ses” oeuvres phares.
Tout d'abord avec en sous titre de "Parcours d'une collectionneuse" sont présentées les toiles de Serge Poliakoff, peintre français d'origine russe né en 1900, maître de l'abstraction devenu une figure phare de l'Ecole de Paris.
Dina
Vierny fut la première à exposer à Paris
en 1951 ses toiles dans lesquelles elle trouvait "une chaleur
humaine teintée d'un mysticisme auquel s'ajoutent la
richesse de la matière, la beauté picturale des
formes et des couleurs".
Les compositions de Serge Poliakoff se présentent comme des variations récurrentes de formes colorées imbriquées à la manière d'un puzzle à géométrie variable qui se concentrent souvent au cœur de la toile et créent une force d'attraction intense qui aspire l'attention et le mental de celui qui regarde.
A l'étage, une mini-exposition collective "Boulatov - Rabine - Yankilevski" réunit des oeuvres de la fin des années 70 de trois peintres de la génération suivante qui émergea en Russie soviétique et qui étaient bannis de tout accès à la représentativité en raison de l'étiquette "art dissident" qui leur était accolée. Trois peintres représentatifs des mouvements forts de cette période.
Dina Vierny les découvrit en Russie lors de ses voyages dans les années soixante et organisera dès 1973 une exposition intitulée "L’Avant-garde russe à Moscou".
Pour Oscar Rabine, qui fut l’un des organisateurs d’une fameuse exposition en plein air le 15 septembre 1974 entièrement détruite par les bulldozers soviétiques, qui se considère comme un peintre du pop art russe et dont le Musée Maillol possède la fameuse toile "Le passeport", la vie quotidienne dans sa ville de Lianozovo, creuset du groupe dissident éponyme qui oeuvra principalement sur l'esthétique de la misère, est sa source principale d'inspiration.
La
matière est épaisse, la touche expressionniste
et le trait burlesque dans la campagne engluée dans une
neige sale sous un ciel de plomb dont les seules âmes
qui vivent sont un chat et la Vierge noire ("Icône,
maison et chat").
Immeubles témoins de l'architecture soviétique avec l'immeuble blafard et anonyme du peintre sur lequel il appose son portrait et ceux de sa famille ou ode à la mythique vodka Stolichnaya sur fond de gratte ciel stalinien ("Stolichnaya").
Virement à 180 degrés avec une autre branche dissident, celle du groupe Boulevard Sretensky qui oeuvrait à Moscou.
Erik
Boulatov, dont le Musée Maillol possède
également une toile emblématique, un autoportrait
dont la facture évoque Magritte ("Autoportrait"),
constitue un des représentants du conceptualisme moscovite
qui érige l'art en instrument critique.
Si certaines oeuvres de cette époque sont proches du Sots Art, avec des toiles qui détournent ironiquement les fondamentaux soviétiques ("Entrée", "Attention"), d'autres sont nettement inspirées du suprématisme des années 20 ("Horizontale II", "Diagonale I", "Horizontale I").
Autoportrait
également avec Vladimir Yankilevski,
fut expulsé de la scène culturelle officielle
en 1962 suite à sa participation à l'exposition
célébrant le 30ème anniversaire de l'Union
des peintres de Moscou.
Post-moderniste qui appartenait au groupe Boulevard Sretensky, il a fait de l'autoportrait une thématique récurrente (série des "Variations")
dans laquelle l'abstraction se conjuge avec un certain surréalisme.