Scorsese continue son œuvre d'évangélisation du blues.
Après les cinq films consacrés au blues (pour le moment, deux "The Soul of a Man" et "Back to Memphis" sont sur nos écrans), après les dvd et les cds des bandes originales de chaque film, après une collection de 12 cds consacrés à quleques grands noms du blues et, enfin, après un cd "Best of the Blues" et un livre, voici le superbe coffret de cinq cds qui nous propose a musical journey.
C'est en effet à un long voyage musical à travers l'histoire et les lieux de blues que nous invite cette compilation. Pour les amateurs de blues, elle sera l'occasion de réécouter les grands noms du blues et d’en découvrir peut être d’autres moins connus. Le choix chronologique est aussi un excellent moyen de suivre l’évolution du blues au fil des années, des courants et des modes. Le génie de Robert Johnston s’apprécie differemment quand on l’écoute précédé de ses ancêtres Skip James, Blind Lemon Jefferson ou Charlie Patton.
Pour les "débutants", ce coffret est un excellent moyen de goûter et de découvrir le blues, le tout à travers une belle synthèse, érudite sans être trop savante et de superbes photos. La musique y apparait toujours vivante, on échappe heureusement au risque nécrophile du musée ou à l’analyse sociologique. Très nettement recommandé à qui n’a pas envie d’acheter les œuvres complètes de bluesmen primitifs tels Son House ou Mississipi John Hurt et est prêt à se contenter d’un best-of bien choisi.
En effet, le choix ne fait pas dans la rareté mais dans les valeurs sures. Le résultat est donc un parcours (quasi) sans-faute, délectable d’un bout à l’autre du voyage.
Au fil des événements - l’arrivée de la guitare électrique, des sections rythmiques, des LP, des années 60 et la British Invasion quand les blancs commencent à se passionner eux aussi pour le blues, quand les Stones invitent B.B King à leurs tournées, lorsque Hendrix réinvente le blues à sa façon – la musique évolue sans jamais perdre cet émotion qui lui est propre.
Car, quant tout est dit, qu'est-ce qui peut encore de nos jours rendre intéressant les trois mêmes accords, qu'ils soint martelés par le vieux Big Joe Williams dans les années 30 ou aujourd’hui par le jeune fou Keb' Mo' qui les mêle à son phrasé rap, qu'ils soient paroxystiques chez Robert Johnston ou sussurés avec un parfum jazz par la belle Cassandra Wilson ? Une authenticité, une émotion ?
De tous les artistes présents dans ce coffret, en partant des bagnards et leur chant de travail enregistré par Alan Lomax dans les années 30 jusqu’à Stevie Ray Waughan, dernier grand guitar-hero, personne ne fait dans l’artificiel ou la fioriture. C’est du 100% vécu, avec des musiciens qui s’exposent, prennent des risques, pleurent ou jubilent, chacun ajoutant à son tour sa pierre personnelle à l’édifice. Comme le dit Scorsese dans son excellente préface, en écoutant la succession de ces titres, on comprend que quelque chose de "précieux" passe d’un artiste à l’autre. C’est ce qui peut, aujourd’hui comme hier toucher chacun d’entre nous.
La compilation propose quelques passerelles avec d’autres types de musique : la coutry avec Jimmie Rodgers ou Louis Armstrong pour le jazz. On aurait peut-être pu à mon goût pousser jusqu’à John Coltrane (avec par exemple un extrait de l’excellent cd "Coltrane Plays the Blues").
En revanche, un des choix remarquables de ce coffret est la présence de Mike Bloomfield, premier guitar-hero des années 60, l’égal de Hendrix ou Clapton, une sorte de B.B King sous acide injustement mésestimé de nos jours. On l’entend dans le coffret aux côtés du magnifique Paul Butterfield Blues Band dès 1965, mais aussi de Dylan, au moment de sa "conversion" à l’électrique, ou de Janis Joplin même si les notes de pochette oublient de le créditer ; mais l’incroyable solo de "One Good Man" est bien du pur Bloomfield.
Seuls petits défauts : le "Red House" de Hendrix est un outake (ce qui est bien) mais il est définitivement mal mixé. Pour le blues et blues-rock des années 60, l’abscence de Led Zeppelin est surprenante; un extrait du premier album où Page et Plant démontraient leur connaissance et leur amour du blues aurait eu sa place auprès des Allman Brothers ou de Jeff Beck.
Enfin, quelques morceaux du dernier disque manquent un peu trop d’originalité ou de personnalité : je me serais volontiers passé des proprets Z.Z. Hill ou Peggy Scott-Adams. Heureusement, Keb’ Mo’ ou le formidable Ali Farka Touré, le bluesman malien, sauvent aisément la fin du voyage et laissent augurer un bel avenir au blues du XXIe siècle.