Comédie dramatique de Harold Pinter, mise en scène de Mitch Hooper, avec Alexis Victor (Anatole de Bodinat en alternance), Delphine Lalizout, Sacha Petronijevic et, Rodolphe Delalaine.

L'intrigue de "Trahisons" de Harold Pinter est universellement connue : l'histoire d'une liaison à rebours selon le schéma traditionnel du triangle amoureux bourgeois, la femme, la mari et l'amant.

De même pour son verbe, une langue simple et économe bardée de mots orphelins ou de pronoms interrogatifs, fréquents chez les auteurs anglo-saxons, qui paraissent superfétatoires et s'avèrent essentiels, pour tracer des dialogues vifs, mais factuels et d'une banalité extrême sous lesquels gît un riche sous texte dont l'extraction incombe aux comédiens.

Dans cette brillante et caustique comédie dramatique qui raconte une histoire de manière fragmentaire, comme s'il délivrait quelques morceaux d'un puzzle déjà commencé par le spectateur, Harold Pinter illustre l'ambiguïté des relations humaines, même éphémères, qui laissent cependant toujours une trace indélébile et décline la trahison au pluriel dans ce qu'elle a d'universel, d'inexorable et de contingent à l'homme.

La trahison, au sens large du terme, est protéiforme et s'exerce tous azimuts à l'encontre des autres comme de soi-même. Illusion, mensonge, lâcheté, tromperie, reniement, omission, simulacre, seul son nom change. Et les protagonistes, à la limite du dédoublement de personnalité, l'assument tant bien que mal dans ce cercle d'amis policés qui ne se départissent pas de leur self-control et relèguent leurs affects, souvent misérables au yeux de l'auteur, à l'arrière-plan. Du coup, la réalité est également à géométrie variable ce que révèle la confrontation par le biais du souvenir ou de l'évocation.

Mitch Hooper, auteur et metteur en scène d'origine britannique, co-fondateur de la Compagnie Théâtre Vivant, qui a récemment mis en scène "Le monte plats" du même auteur, a été l'assistant de Harold Pinter. C'est dire s'il connaît la prose de ce dernier et la direction d'acteurs qu'il a effectuée pour ce spectacle est imparable.

Pour cette autopsie du trio amoureux, le vrai couple n'étant peut être pas celui auquel on pense, et d'une liaison ordinaire qui se déroule dans un décor anonyme avec quelques meubles sous housse - les grands draps de l'oubli qui l'ont ensevelie - pour symboliser la nostalgie, le temps qui passe, les secrets dévoilés ou enterrés et les confidences esquissées, il a réuni trois comédiens virtuoses dans l'art du sous-entendu et de l'inflexion .

Delphine Lalizout est parfaite dans l'émotion de la femme qui n'est jamais tant déchirée entre deux hommes qu'entre ses propres désirs contradictoires et dans l'amertume de n'avoir été retenue par aucun des deux. Alexis Victor incarne avec intelligence l'amant parfait, assidu, attentif et néanmoins pragmatique, dans le cadre précis du créneau horaire imparti pour cette relation extra-conjugale.

Quant à Sacha Petronijevic, dont chaque apparition sur scène confirme le potentiel d'interprétation en terme de registre, il est excellent dans le rôle du mari qui, là encore, contrairement à ce que pourrait laisser accroire une écoute trop rapide du texte, n'a rien du mari complaisant et apporte de belles nuances à la partition déterminante de la pièce.

Le spectacle est un véritable pépite qu'il ne faut absolument pas rater.