Comédie dramatique de Alexis Ragougneau, mise en scène de Frédéric Ozier, avec Emilie Patry, Antoine Cholet, Franck Clément, Benoît Costa, Frédéric Jessua, Aurélien Osinski et Xavier Valoteau.
La Compagnie acte6, constituée par des comédiens issus du Studio 34, a le vent en poupe. Après son Festival Ca bute à Montmartre qui a remis au goût du jour le Grand Guignol et rythmé l'actualité théâtrale du Ciné 13 Théâtre tout l'été et qu'il exporte cet automne au Théâtre du Ranelagh, il investit le Théâtre de la Tempête avec "Les îles Kerguelen", un texte épique et introspectif de Alexis Ragougneau.
Dans une langue éblouissante aux accents lyriques, qui, toutes proportions gardées bien évidemment, évoque, par ses illuminations ici profanes, "La ballade du vieux marin" de Samuel Taylor Coleridge, Alexis Ragougneau projette le spectateur au 18ème siècle, au temps des grandes expéditions maritimes pour la découverte de nouveaux mondes à coloniser et exploiter. Et plus précisément dans le sillon du navigateur français Yves de Kerguelen pour sa deuxième expédition qui devait poser le pied sur ce qu'il avait annoncé être le continent austral et qui aboutira à un fiasco tragique.
Texte épique , il s'agit bien d'une épopée, une épopée en trois mouvements, le vent de l’espérance, la colère de la terre et l’océan de papier, et, réunis en un seul espace scénique, trois lieux d'action, la chambre du roi Louis XV, le bateau de Kerguelen et celui qui l'avait accompagné initialement, qui s'articulent en résonance dans une spirale du chaos et de la folie pour un voyage sans retour qui pousse à bout les hommes et les âmes.
Dans une scénographie épurée de Neda Loncarevic, une sorte de dalle en lattes de bois qui tient autant du pont que du radeau et du pré carré de tous les affrontements, bien servie par les lumières de Florent Barnaud qui sculptent les atmosphères délétères et habillent le déchaînement des peurs et des passions, Frédéric Ozier signe une mise en scène au service du texte et du verbe qui circonscrit fermement l'enchaînement inéluctable et inexorable des événements comme le jeu des comédiens qui ne verse jamais dans le réalisme folklorique.
Alors que le roi agonise, devenu l'ombre de lui-même, mort-vivant dont Frédéric Jessua donne une incarnation stupéfiante, perdu dans un océan hostile sur lequel dérive le bateau accompagnateur de la première expédition menée par un capitaine fou et errant (Xavier Valoteau), le trois mâts aux allures de vaisseau fantôme contaminé par les vers va pourrir les esprits de ses occupants dont le capitaine (Antoine Cholet), le maître d’équipage vieux briscard (Aurélien Osinski), le naturaliste (Benoît Costa), l'officier roublard et libertin (Franck Clément) et une jeune femme déguisée en mousse (Emilie Patry) qui partent presque jovialement pour la terre promise de la colonisation.
Maîtrisant leur partition, les comédiens qui se connaissent bien et ont l'habitude de travailler ensemble sont excellents et le spectacle une totale réussite qui vous emmènera loin.