L'essence de la thématique de chaque Biennale Internationale d'Art Contemporain de Venise, telle qu'elle est concrétisée, à la lettre et dans l'esprit de son directeur, est révélée par l'exposition générale qu'il a conçoit en toute indépendance et liberté quant au choix des artistes qui se tient à l'Arsenal dans les volumineux espaces de l'ancienne corderie.

Daniel Birbaum, critique d’art, curateur et philosophe, directeur de la 53ème Biennale a placé cette dernière sous la bannière "Making worlds - Faire des mondes", pour exprimer son vœu de cerner le processus créatif de l'artiste dont l'œuvre représente avant tout une vision du monde.

Une thématique largement discutée, ce qu'il a anticipé avec humour en déclarant que "la Biennale n'est pas là pour être aimée mais pour être discutée". Par delà des querelles byzantines ou journalistiques qui peuvent ne pas mobiliser ou ne pas décourager les visiteurs néophytes et les modestes amateurs d'art, demeure l'exposition avec ce qu'elle comporte de subjectif même conçue par un homme choisi pour son ouverture d'esprit et sa grande connaissance de l'art contemporain international.

Une exposition déambulatoire

Force est de constater que de la déambulation dans l'Arsenal ne se dégagera pas une impression de cohérence évidente mais davantage une juxtaposition d'oeuvres que l'on pourrait qualifier, nonobstant la diversité de style et de facture, de "narratifs". Et cela résulte bien du thème annoncé.

En pratique, la visite commence par des "dinosaures", au sens chrono-historique du terme s'agissant de génération des avant-gardes des années 60, avec la magnifique installation faite de bandes de fils de cuivre "Tteia" datant de 1979, emblématique de la démarche artistique de Lygia Pape, pionnière du néo-concrétisme brésilien.


Puis "Twenty two less two, œuvre-performance de l'italien Michelangelo Pistoletto, représentant de l’Arte Povera et de la Nouvelle Objectivité, déclinaison de ses tableaux-miroirs réflexion métaphysique sur le temps, l'infini, la procréation et la quête du sacré.

Mêler l'art et la vie, c'est aussi le propos de l'architecte de papier Yona Friedman et Joan Jonas, performeuse, sculptrice et vidéaste de l’avant-garde new-yorkaise des années 70, propose d'entrer physiquement dans son "Reading Dante".

Entre autres, le visiteur pourra réviser ses connaissances en matière de Conceptualisme russe avec Elena Elagina et Igor Makarevich, de pop art allemand avec le "Conveyor Belt" de Thomas Bayrle et de Figuration narrative suédoise avec l'iconographie bédéiste de Jan Hafstrom ("The Eternal Return") ainsi que le mouvement des Young British Artists avec Richard Wentworth.

Huang Yong Ping, l'artiste-plasticien figure de proue de l'avant-garde chinoise des années 1980 qui a défrayé la chronique avec son "Théâtre du monde" constitué d'animaux vivants qui s'entredévoraient, pour symboliser la cohabitation des cultures, présente "Buddha's hands" et "The fishing" oeuvres de 2006, revisitation de la culture chinoise et du mythe du Léviathan.

Le monde vu à travers sa culture d'origine également pour le tibétain Gonkar Gyatso et "The Shambala in modern times" le royaume mythique du Tibet revu à la lumière des icônes modernes.

A voir l'installation de l'indienne Sheela Gowda sur la condition de la femme indienne, mur de pare-chocs clinquants et liens en vrais cheveux, ceux que des femmes offrent aux dieux mais également récupérés pour la fabrication de perruques à rapprocher de "Warmth" de Zoran Todorovic constitué de tapis en cheveux humains (accessibles à la vente à l'unité, marché de l'art oblige) qui rappelle le précédent macabre de l'Holocauste pour dénoncer la chaine économique cannibale, et la bannière "Plus Ultra" de la polonaise Goshka Macuga, qui travaille sur la relation entre esthétique et politique, stigmatisant l’impérialisme consensuel du dieu dollar.

Les arts majeurs cèdent le pas aux arts plastiques façon Nouveau Réalisme avec récupération et détournement : bobines de fils pour la sudafricaine Moshekwa Langa (Stage), fils électriques et ampoules pour les potences à perfusion lumineuses du sud coréen Haegue Yang ("Serie of vulnerable arrangements")

et beau succès pour l'installation géante "Human Being" du plasticien camerounais Pascale Marthine Thayou qui décline le monde à la manière d'un village africain.


Enfin, avec les artistes qui utilisent les processus économiques comme matériau et sujet de leur travail, rapportez quelques cartes postales originales d'une fausse Venise mises à la disposition du public par la polonaise Aleksandra Mir.

Mangez des bonbons en piochant dans le "The Greater G8 Advertising Market Stand" de la zambienne Anawana Haloba.

Et divertissez-vous dans le Giardino delle Virgine avec les agrès de l'américain William Forsythe( "The fact of matter") sans oublier de vous faire tirer le portrait dans les "Double Pink Shape" de l'américaine Miranda July .

Entre l'Arsenal et le Giardino delle Virgine, flottent sur l'eau de rutilants radeaux de survie dont sortent des sons inaudibles qui ne sont pas là pour vérification mais constituent l'installation "Gaggiandre" de l'allemande Tamara Grcic.

Et puis à l'entrée des Jardins de la Biennale, embarquez mentalement sur le manège cosmique et humaniste avec "Back to fullness, Face to emptiness" du chinois Chen Zhen.

A ne pas rater deux des mousquetaires de l'art contemporain français, Dominique Gonzalez-Foerster et Philippe Parreno, ce dernier étant également à l'affiche du Centre Pompidou.