Maintenant que toutes les jeunes étoiles ont cessé de briller et que les queues de comètes ont toutes été soigneusement léchées, on y voit enfin un peu plus clair dans la longue et sombre nuit du rock’n’roll français.
Exit la supposée nouvelle vague des nouveaux flambeurs, seuls les plus téméraires résisteront aux planches qui brûlent. N’est pas rockeur qui veut, dans ce pays qui hésite toujours entre la variété et les guitares qui crient leur nom. Bad Mama Dog, dans ce tonneau des Danaïdes, tire son épingle du jeu avec une telle aisance qu’elle en devient déconcertante.
Mais pas de méprise sur l’identité. S’ils jouent sur le territoire français, les membres de Bad Mama Dog ne sont pas pour autant des clones d’Antoine et des yéyé. Car John, le chanteur, est californien. Les années de galère, on les devine au chant déchiré, aux parties de guitare très héroïques, toutes ces parenthèses de grâce qui parcourent l’échine à l’écoute de ce premier album.
Contraste saisissant avec les productions actuelles, le rock de Bad Mama Dog joue la carte des resto d’autoroute américains, entre le burger et les stations Texaco, quelque chose de terriblement proche du souvenir qu’on s’était fait de ZZ Top, de Led Zeppelin sur ses tournées US, la décadence des 70’ sans la nostalgie. A l’écoute de "Ships of time", c’est tout simplement le grand zeppelin acoustique qui se ressuscite sans incantation. On sait les références toujours piégeuses mais cette fois, promis, on le jure, le groupe est à la hauteur des mentors. Du moins sur cette chanson. Qui évoque tout autant le Jeff Buckley de My sweetheart the drunk, les compositions mal fignolées pas finies, l’équilibre instable sur le fil, plus yoyo que yéyé, encore.
Comme toutes les voix blanches racées, celle de John est noire, de sentiments et d’influences. Il y a du Motown, des cavalcades, l’envie de tomber et un nom d’album qui résume assez bien l’histoire ; Love gone bad. Sous les pavés la plage, l’ensemble de l’album est une merveille comme on entend tous les trois ans, à l’heure des revival quand la jeune génération n’arrive plus à suivre. Sans marquer le lundi d’une pierre blanche, ce premier album du groupe signé chez Bonus Tracks tient exactement sur deux ficelles bien tendues : la voix et la production, signée Yarol Poupaud, dans la grande tradition des parrains 70’. L’exacte période d’après les sixties, les débuts du rock de stade (Eagles, Free) lorsque les guitares grasses n’avaient pas encore été remplacées par des tessons de bouteille (Sex Pistols) et autres synthés. Par ici un clin d’œil à Hendrix ("Low and divine", pastiche subtil de l’Electric Ladyland), par là de vraies compositions originales trempées dans le sable ("Love gone bad", la chanson éponyme) et au centre une voix qui couine, se tord, ondule comme un félin à la nuit tombée.
Les métaphores peuvent bien s’empiler sur le bureau que le constat s’avère déjà définitif : production incroyablement parfaite, groupe au summum, compositions éblouissantes de maturité et rage contenue ; le premier (gros) œuvre de Bad Mama Dog est l’album indispensable d’un été qui s’annonce pluvieux. Rain and tears.