Comédie dramatique de Alan Bennett, mise en scène de Laurent Pelly, avec Charlotte Clamens, Nathalie Krebs et Christine Brücher.
Après le succès rencontré au printemps au Théâtre du Rond Point, le trio de "Talking heads" revient sous les feux de l'actualité théâtrale pour une série de représentations exceptionnelles au Théâtre Marigny.
Sous le titre original qui regroupe une série de monologues écrits pour la BBC par le dramaturge anglais Alan Bennett, Laurent Pelly porte sur scènes trois monologues tragi-comiques époustouflants, grâce à la traduction inspirée de Jean-Marie Besset qui transcrit en français cet humour anglais intraduisible, qui entraînent le spectateur au cœur de la banlieue anglaise et plongent dans la tragédie ordinaire de trois femmes de la classe moyenne à l'automne de leur vie.
Le choix et l'ordonnancement des soliloques opérés par Laurent Pelly est particulièrement judicieux dans la mesure où il opère une gradation inversée dans l'intensité dramatique, du plus noir au plus loufoque, et illustre les fondamentaux de l'humour britannique, notamment l'understatement, qui repose sur le sens de l'autodérision et un flegme décapant.
Dans des décors vignettes de Chantal Thomas inspirés des romans-photos des années 70, Laurent Pelly opte pour une mise en scène cinétique, multipliant les points de vue avec transpositions de travelling, gros plan et plongée, qui insuffle à ces tranches de vie, taillées dans le vif par un auteur diaboliquement incisif qui observe, et dissèque, ses contemporains à la manière d'un entomologiste, une belle puissance dramatique qui plus est, en l'occurrence, amplifiée par la grande taille du plateau.
Les trois comédiennes s'emparent avec talent et sagacité de la parole de ces femmes, une parole simple, presque insignifiante dans leur banalité, dont elles investissent le sous texte pour en décrypter et en restituer les moindres reliefs significatifs d'un désespoir latent.
Dans "Une femme sans importance", Christine Brücher campe avec subtilité la vacuité et le désarroi progressif de cette employée tirée à quatre épingles qui, de boîte en boîte, prend la mesure de sa solitude et de l'indifférence générale à l'occasion d'une hospitalisation.
"Nuit dans les jardins d'Espagne" pourrait être le titre d'un délicieux roman de gare à la Barbara Cartland. En l'espèce, il recèle une peinture caustique de l'univers conjugal dont la femme fait les frais. Nathalie Krebs se montre maîtrise parfaitement le pathétique de l'épouse désabusée, dont le rez-de-jardin constituait la seule respiration, qui découvre que le pire est toujours à venir et qu'il ne déçoit jamais.
Enfin, Charlotte Clamens, époustouflante "Femme avec pédicure", donne de la vieille fille compassée qui découvre les plaisirs du fétichisme de son pédicure une incarnation totalement hilarante.
A voir et à revoir absolument sans modération pour faire le tour de soi et modifier son regard sur son voisin de palier.