Inutile de tourner autour du pot : Secular Works d’Extra Life arrive largement en tête des disques les plus dingues entendus cette année. Parmi les tous meilleurs également. A l’instar de son alter ego maléfique, Watersports des californiens de Mi Ami. Comme quoi il reste encore des raisons d’espérer.

Les premiers contacts avec cet OVNI s’avèrent aussi fascinants qu’inattendus. Les images d’une cathédrale ouvertes aux quatre vents viennent à l’esprit. Un vent glacial s’engouffre à travers les vitraux cassés. Au fond de l’édifice, des bancs ont été renversés. Après quelques pas, on découvre planté au milieu du chœur un groupe en pleine action. Dont le chanteur semble littéralement habité. Une chorale d’enfants aux yeux noircis de mascara et vêtus d’aubes blanches complète le tableau sur la droite. On pourrait ainsi continuer longtemps…

Prêtons maintenant attention à la musique que l’on définirait à la volée de math rock indus médiéval innovant. Math rock tout d’abord. Mais attention, pas du math rock stérile joué par une bande de nerds impuissants. Du math rock classieux évoquant autant la rigueur de Don Caballero que les excentricités arty de Battles. Impossible de ne pas démasquer au bout de quelques notes des musiciens aguerris aux scènes déviantes ou extrêmes. La précision chirurgicale de la section rythmique ne trompe guère en effet.

Indus médiéval maintenant. Evidemment à cause de ces nappes de synthés vénéneuses. Aussi pour cette brutalité caractérisant l’haletant "Blackmail Blues" et "I Don’t See It That Way", à la frontière du métal. Sorte d’improbable mélange entre Amon Düül II et Shellac. Mais surtout à cause du chant si caractéristique de son frontman Charlie Looker. Habitué des collaborations (John Zorn, Dirty Projectors, Zs...), initiateur du projet en 2007, ce jeune new-yorkais possède une voix cristalline, aérienne, d’une pureté incroyable. Mixée très en avant qui plus est. A rapprocher sur la forme de Dave Longstreth (Dirty Projectors) ou d’un Richard Youngs s’initiant au chant grégorien dans un remake du Decameron de Pasolini ("Bled White").

Innovant ensuite. Etrangement, aucun élément constitutif de la musique de Extra Life ne sonne complètement novateur. Mais mis bout à bout, ils participent à la création d’un contenu unique et tout à fait déroutant. Innovant également dans la structure – ou plus exactement dans la déconstruction ou l’absence de structure – des morceaux. On peut à juste titre penser à Xiu Xiu pour la comparaison.

Surprenant enfin dans l’agencement des titres : entame sur deux titres brutaux suivie par deux longues pièces ("This Time" et ses cordes déglinguées) entrecoupées d’un morceau pop ("The Refrain"). Avant une bizarrerie minimaliste ("See You At The Show") et un remarquable final a cappella.

Un projet audacieux, lumineux, exigeant autant qu’anti mainstream radical. La musique actuelle telle qu’elle devrait toujours être. Autant dire que l’on attend de pied ferme leur venue fin mai dans nos contrées.