Tragi-comédie de Molière, mise en scène de Nicole Gros, avec Jérôme Keen, Jean-Jacques Nervest, Florence Tosi, Bernard Callais, Elise Rouby, Jean -Luc Voyeux, Anne Barthel, Gérard Cheylus, Jacques Gallon, Gaëtan Guilmin et Sébastien Scherr.
Après avoir exploré la société libertine du 18ème siècle, avec "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos, Nicole Gros explore le portrait d'un séducteur lunaire en portant à la scène "Dom Juan" dans le cadre du cycle Molière qui se déroule cette saison au Théâtre du Nord-Ouest, comédie complexe qui porte toutefois moins sur le libertinage avéré de son héros mythique et mythifié que sur sa quête mystique du sens.
Insolent, ironique, cynique, amoral, séducteur impénitent, aristocrate oisif et homme dilettante pour qui le désir sexuel, ou plus exactement le désir de conquête féminine, à défaut de conquêtes militaires à la manière d'Alexandre le Grand pour marquer le monde de son empreinte, constitue l'indispensable dérivatif à la vacuité de la condition humaine et à l'existence mortifère de l'homme libre de tout engagement, Dom Juan défie toutes les lois divines et les préceptes humains qui assurent l'ordre moral et sociétal pour aboutir au défi ultime.
Ici, point de relecture ou d'actualisation du texte : tout passe par le jeu de l'acteur à travers la vision, voire le parti pris, du metteur en scène qui imprime ici clairement sa marque. Au terme d'un remarquable travail, conforté par une distribution homogène et et de qualité qui contribue à la réussite de ce spectacle, Nicole Gros a parfaitement respecté la construction kaléidoscopique de la pièce composée d'une succession de scènes de confrontation dans des registres très différents qui offrent de belles partitions pour les comédiens. Car cette chronique d'une mort annoncée ressortit ici de la comédie, une comédie truffée de scènes de genre.
Du tragique avec deux scènes symétriques mettant aux prises Dom Juan avec Elvire, l'épouse bafouée, Florence Tosi et ses accents raciniens, et le père trahi, Bernard Callais et son remords cornélien, au fantastique de la résurrection du Commandeur en passant par la pastorale avec la fausse vraie dissension amoureuse des promis, Eliane Rouby et Jean-Luc Voyeux excellents dans une désopilante scène pleine de fraîcheur et de marivaudage pétulant celant un réalisme noir sous-jacent et la farce du crépage de chignons des deux paysannes, Eliane Rouby et Anne Barthel toutes deux savoureuses, autour d'un Dom Juan de foire.
Un Dom Juan qui, à l'image de la scène d'habillage, dans laquelle il se pare des différentes pièces de son habit comme un comédien endosse son costume de scène, adopte la posture désinvolte du libertin au sens du 17 ème siècle, galante gravure de mode, avec néanmoins les bottes de chevalier et l'épée au côté. Et pour se mirer point besoin de miroir puisque Elvire et Sganarelle en font office, l'un de sa démesure, l'autre de son narcissisme inassouvi.
Le couple maître/valet, ici duo janusien, fonctionne
à merveille : aux côtés de Sganarelle, Jean-Jacques
Nervest excellent, valet de haute stature, terrien moralisateur
et pragmatique, Dom Juan, visage blanc de fantoche fatigué,
ascète rattrapé par les travers de son époque,
précurseur de la figure romantique, trouve chez Jérôme
Keen saisissant, une superbe incarnation.