Apparus en 1964 et rapidement proclamés chefs de file du mouvement mod - ou comment, pour Pete Townshend, trouver un public fidèle et dévoué - les Who publient dans la foulée leur classique fondateur, "The Who Sings My Generation", ainsi que certains simples restés parmi les plus ahurissants de tous les temps - "I Can't Explain", "Happy Jac", "Pictures Of Lily", "Substitute ...".

Déjà à ce stade, la clé de la réussite repose sur le précaire équilibre entre les personnalités des quatre musiciens, capables de façonner en studio d'imparables hymnes pop ou de passer, sur scène, leur répertoire à la moulinette sous l'influence de substances prohibées, avant de procéder à une méticuleuse démolition de leur matériel.

Dans la même veine, le groupe réalise l'année suivante "A Quick One (While He's Away)" incluant un mini opéra-rock, retraçant la fabuleuse destinée d'Ivor the engine driver, soit une courte série de titres mis bout à bout, comprenant les mêmes personnages et formant au total une histoire. L'essai demeure pourtant sans lendemain, les Who publiant, pour s'attaquer au marché américain, le génial "Sell Out" avant "Magic Bus" en 1968, s'adonnant à une pop psychédélique alors très en vogue.

En manque de repères, également en perte de vitesse dans les hit-parades, le groupe (enfin, Pete T. pour être exact) tente le quitte ou double, en s'attelant à un concept alors quasi inédit (pour tout dire seuls les Pretty Things s'y étaient risqués sur "SF Sorrow", l'année précédente) : l'opéra rock.

Pourtant, contrairement aux idées reçues, nombre de titres de "Tommy" n'a pas été pensé selon le concept héros sourd-muet-aveugle, car précédemment écrits, d'où une impression de titres classiques calibrés englobés dans un emballage novateur. Dès le début des séances, Pete arrive avec son matériel prêt à enregistrer, mais le projet évolue en cours de réalisation, de nouveaux titres sont écrits en studio : le disque ne sera finalement achevé que le 7 mars 1969 sachant qu'il devait initialement voir le jour à Noël 68.

L'ambiance est toujours aussi délirante - Keith Moon voulant y établir un camp de vacances - tandis que le manager Kit Lambert écrit le scénario d'un film "Tommy, 1914-1984" voyant son idée d'orchestre rejetée par Pete et ses potes pour des difficultés de transposition scénique. Dès sa sortie, "Tommy" devient le plus grand succès du groupe, se vend par camions des deux côtés de l'Atlantique propulsant "Pinball Wizzard", "I'm Free" ou "The Acid Queen" parmi les classiques des londoniens.

Donc maintenant pourquoi racheter pour la cinquième fois "Tommy" des Who. Le disque bonus de la version Deluxe Monsieur ! ... le disque bonus !

Contrairement à la récente version de "Who's Next", aucun titre en public n'y figure mais uniquement de croustillantes alternate takes et démos. Ainsi, ce deuxième disque débute tambour battant sur une version primitive de "Chritsmas" avec un son de gratte à tomber avant une relecture, probablement histoire de se détendre un peu, de "Young Man Blues" de Mose Allison.

Après une version instrumentale de "Tommy Can You Hear Me ?" et l'étrange "Trying To Get Through" arrive le premier grand moment sur "Sally Simpson", ou comment enfin pénétrer l'ambiance régnant réellement dans le studio : Moon complètement fracassé en pitre se service, Entwistle se morfondant tout en grattant son instrument, Daltrey attendant son tour et Townshend menant la danse.

Suivent une version à peu près finalisée ("Miss Simpson") et un "Welcome" au piano avant le "Toad" de Keith Moon intitulé "Dogs", faisant ici étalage de son immense maîtrise derrière ses fûts.

La fin, beaucoup plus classique dans le choix des titres, s'avère tout aussi indispensable sans pour autant réinventer la roue. Accouché sous la coupe du très cool Meher Baba, "Tommy" reste plus que jamais la pierre angulaire de la discographie des Who qui plus est présenté dans un si bel objet.