Réalisé par Arnaud Desplechin. France. 2008. Avec : Mathieu Amalric, Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon.

Comme dans son film précédent, Arnaud Desplechin ne nous joue pas une simple saga familiale, d’ailleurs le temps est chaque fois resserré autour d’un évènement. Cette fois-ci, la nuit de Noël. Sera-t-elle l’annonce d’une bonne nouvelle, celle de la réconciliation ?

La famille voisine avec les grands thèmes mythologiques à la manière des pièces shakespeariennes, pour nous faire revivre les conflits universels entre les parents et leurs enfants, impossibles relations, empesées par une histoire qui ne fait que traverser les corps…

Comment se tirer de ces sales affaires, comment se réapproprier sa propre vie ? Dans Un Conte de Noël, il s’agit de la mort d’un enfant, de la naissance d’un deuxième qui n’a pas su sauver son frère : comment l’aurait-il su d’ailleurs ! Et sa sœur qui ne cesse de la poursuivre d’une vindicte dont elle est elle-même victime. Elle devient l’aînée, la choyée, à la mort de son frère, qu’elle-même n’a pas sauvé parce qu’elle ne pouvait lui apporter la greffe attendue. Autant dire qu’elle l’a tué, comme elle ne cesse de faire disparaître les hommes qu’elle ne cherche, dit-elle, qu’à protéger. Comme son fils Paul, qui ne sort pas indemne de ses névroses.

Que la mère s’appelle Junon Vuillard n’est pas anodin : un "non" et un presque "oui" : un refus d’amour à ce fils qui n’a pu lui garder son premier garçon. Un fils promis au sacrifice… promesse qu’il n’a pas tenue. Junon est aussi la figure mythologique, celle qui pourchassait les enfants illégitimes de Jupiter. Dionysos n’a pas été moins que jeté d’une falaise pour disparaître. Mais blessé, il est recueilli. Il refuse le sacrifice, il refuse de mourir, il devient le dieu des excès : le vin, la luxure… Un peu à la manière d’Henri (Mathieu Amalric), couvert de bleus, comme s’il avait lui aussi été précipité d’une colline. Henri, cet appétit de vivre, de résister, d’"en rire", qui accable tout le monde, qui le rend épidermiquement non compatible. Henri, autre traduction de Isaac dans la Bible, le fils de Sarah et d’Abraham, prénommé Isaac parce que Sarah s’était mise en rire lorsque Dieu lui avait annoncé qu’elle serait enceinte, même à son âge avancé. Abraham qui, soumis à la volonté divine, était prêt à donner Isaac en sacrifice… Et fallait-il que Dieu sacrifie son fils, Jésus, pour le salut des âmes.

Est-ce que les vies des enfants ne sont que des jouets dans les mains de leurs parents ? Est-ce que les parents ont le droit de vie ou de mort sur leurs enfants ? Les enfants ne sont-ils utiles qu’à distraire leurs parents, sur la misérable scène de théâtre qu’est leur vie ? Et comment se sortir de ces destins ?

Sans penser toujours aux enfants, disposer de la vie d’autrui se joue aussi à un autre niveau lorsque Sylvia est "donnée" à Yvan. Les droits copains ont choisi à la place de la jeune femme. Finalement, on ne sort pas des rites mythologiques, on ne sort pas du sacrifice, de disposer d’autrui à son insu. Mais celui qui se sacrifie lui-même n’est pas épargné non plus.

La famille, avec ses obligations d’amour, de rencontres familiales imposées, pour Noël, ne fait qu’aviver les choses, dévoile combien le jeu est truqué. Parce que personne ne comprend, parce que les raisons remontent à si loin, là où se situent les trous noirs de l’inconscient.

Mais lorsque Junon apprend qu’elle-même a besoin d’une greffe, qui acceptera-t-elle comme donneur ? Paul, son petit-fils que sa fille lui offre encore dans un simulacre de sacrifice. Ou cet enfant joueur, hâbleur, Henri, qu’elle a considéré comme un intrus accessoire dans sa vie et ses affections ? Henri, fruit oublié de ses entrailles, serait-il celui qui lui ressemblerait encore le plus et qui fusionnerait à nouveau avec elle par le biais du sang ! Un sacrifice raté en somme, où le sang n’est plus versé, mais recueilli et transfusé. Parce qu’après tout, arrive tôt ou tard l’heure de la trêve… oui, la réconciliation en quelque sorte.