Tragi-comédie de Nikolaï Erdman, mise en scène par Stéphane Douret avec Gwendal Anglade, Romain Cottard, Olivia Dalric, Julie Jacovella, Paul Jeanson, Yves Jégo, Françoise Lépine, Claire Nadeau, Agnès Ramy et Antoine Rosenfeld et les musiciens du groupe Pad Brapad Moujika.
Quand Feydeau rencontre Gogol, cela donne "Le mandat", un vaudeville politico-burlesque écrit par Nikolaï Erdman.
Moscou 1924. 7 ans après la Révolution rouge, alors que la nomenklatura bolchevique s'est substituée à l'aristocratie tsariste, Nadiejda Petrovna Gouliatchkina, commerçante ruinée par la révolution, reléguée dans un appartement communautaire, vit dans un attentisme prudent, les icônes cachées dans une malle transformée en autel mobile, les tableaux accrochés aux murs en double face, paysages "capitalistes" au recto et portrait de Marx au verso.
Confite en dévotions et en vaines interrogations répétant son antienne favorite "Mais c’est quoi cette vie c’est quoi ?", sa préoccupation du moment est de sortir de l'inconfort pécunier et de promiscuité en mariant sa fille au fils d'un riche propriétaire qui a pu conserver aisance financière et logis personnel.
Tout s'arrangeait pour le mieux jusqu'au moment où à défaut de dot, ce dernier exige un gage de conformité à la ligne politique, un communiste, ou plus précisément puisqu'un communiste sans document ça n'existe pas" ce fameux mandat rouge, objet de toutes les convoitises et symbole d'appartenance au parti au pouvoir.
S'en suivent atermoiements, quiproquos et rebondissements rocambolesques qui forment une sarabande fantaisiste recelant une peinture lucide et amère de la société de l'époque et, à la manière de la littérature slave du début du 20ème siècle, une galerie impitoyable de portraits d'individus dont la médiocrité fait leur grandeur.
Le texte de NikolaÏ Erdman est un véritable petit bijou, une comédie satirique, grinçante, trépidante et surréaliste, truffée de syllogismes, de sentences percutantes et de constats terrifiants.
Pour cette "démence soviético-tsariste", avec une scénographie stylisée, à l’instar des costumes ubuesques et ébouriffants de May Katrem, presque cinétique à la manière des films muets, Stéphane Douret a réussi une mise en scène inventive, ludique et totalement débridée qui allie parfaitement, et sans rupture, le drame et le vaudeville, le burlesque et la satire, à la mesure des personnages tous dotés d’une forte charge comique mais également de gravité tragique.
Il orchestre donc sa nombreuse troupe de comédiens, homogène dans la qualité, dont Claire Nadeau, avec le bonheur de la retrouver en magistrale folledingue, entourée notamment d'Olivia Dalric en vraie jeune fille hystérique et Agnès Ramy en épatante petite bonne évaporée.