Ultra Orange est attendu comme le loup blanc dans l’hexagone. Ultra Orange, c’est un peu la chasse à cour, dans un pays qui cherche encore sa Nico, et traque son égérie. Et si l’on s’est fait servir un plat de Charlotte Gainsbourg en 2006 pour le déjeuner, nul doute que l’on dînera avec du Ultra Orange dans l’assiette en 2007.
Autant le dire tout de suite, pour se libérer, c’est Emmanuelle Seigner qui cristallise ici l’attention. Encore un album de comédiennes pense-t-on d’abord. C’est sans compter sur l’élégance de la Seigner ainée, qui d’emblée, sur le très bon "Sing Sing" (le single placé en ouverture d’album, quelle grande idée originale) place la barre au niveau de l’outre-Manche.
C’est évidemment Lou Reed et le Velvet qui sont visés, vision d’une Amérique décadente qui s’est aujourd’hui perdue, mais qu’Ultra Orange parvient à retranscrire avec l’innocence et la naïveté qu’on n’attendait pas. Il faut entendre la dame miauler "I want to say no /But my heart keep sayin I want more", suivi d’un solo rongé jusqu’à l’os pour comprendre qu’en dépit du travail pharaonique du label pour "marketer" l’histoire, le groupe est réel, et l’histoire bien vraie.
Etonnamment, il y a du Nancy Sinatra chez cette fille, cette actrice, comme diront les plus réducteurs. Car la demoiselle est un personnage, qui possède une voix, un filet qui, comme la fille Gainsbourg, touche et émeut même les plus réticents. Et si 5.55 de Charlotte se jouait au piano, ambiance bar cosy avec Jarvis en pilier de bar, Ultra Orange se joue avec Emmanuelle et les compositions stoniennes et vénéneuses de Pierre Emery.
Une toute autre classe qui sonne rétro sans faire vieux. L’âge d’or des sixties, mais en couleurs. Sur "Rosemary’s lullabye", dédicace évidente de Seigner à son mari réalisateur, les papillons volent haut, et la guitare résonne comme un bon Link Wray. C’est gras et c’est beau.
Passons sur les paroles sans profondeur, l’intérêt n’est pas là. Et des chansons comme "Bunny", on en prendrait même en intraveineuse. Riff obsédant de basse rappelant le "Personal Jesus" du Depeche mode. Les écoutes successives effacent les données de départ ; cet album n’est pas français, Emmanuelle Seigner n’est pas comédienne. Et pas de simulation prévue sur le tableau de bord.
Et puis il y a la ballade mainstream ultime, déguisée pour mieux faire passer la pilule, "Lines of my hand", qui louche vers le grand public tout en restant droite comme la justice. On penserait sans savoir pourquoi à REM sur "The good from the bad".
Pierre Emery a sans doute également passé les Kills dans son Ipod, sur sa chaîne ou dans sa voiture. Voire même Broadcast. La même énergie compressée, la même dynamique d’ensemble portée par une voix féminine. Le résultat est superbe, et les faux pas sont rares sur cet album. Cela sent les trous de cigarette dans le drap en satin.
Et c’est signé chez RCA, comme à la grande époque. Non, décidément, on ne parvient pas à dire du mal de cet album. Même le nom du groupe est génial, c’est écoeurant.