Avec sa compagnie la Compagnie 1200 tours/minute, Pierre Letessier a co-écrit et monté "L'opéra thérapeutique", un spectacle de théâtre musical qui donne à voir et à écouter, dans un registre burlesque, une conférence médicale et les relations loufoques d'un trio de médecin et infirmières déjantés.
Un spectacle original et atypique enthousiasmant qui donnait envie d'en rencontrer le maître d'œuvre.
Parlez-nous un peu de vous metteur en scène de théâtre passionné de musique qui a monté "L'opéra thérapeutique", véritable cure de jouvence roborative. Comment êtes-vous venu à ce registre théâtral ?
Pierre Letessier : A l'occasion d'une commande qui consistait en l'écriture d'un livret et en la mise en scène d'un opéra contemporain, j'ai réalisé que la musique, avec des comédiens-chanteurs ou des instrumentistes, tenait une grande place dans tous mes spectacles antérieurs. Et avec cet opéra qui était une adaptation de "La farce de Maître Patelin" dont la musique est due à Coralie Fayolle qui est un compositeur contemporain intéressant, j'ai découvert le travail avec les chanteurs d'opéra. Mais c'était toujours un travail avec des exigences de metteur en scène de théâtre.
Cette première expérience avec des chanteurs lyriques vous a-t-elle permis de constater qu'il y avait des différences et des difficultés particulières liées à ce registre ?
Pierre Letessier : La différence essentielle est la présence de la musique. Cela paraît évident mais la présence d'une vraie écriture musicale, comme celle d'Isabelle Aboulker pour "L'opéra thérapeutique", fait que la musique créée une dramaturgie; Et c'est ce qui m'intéresse. La vision de metteur en scène est sur le texte et la musique et le compositeur ayant sa propre vision du texte quand il écrit sa musique il préexiste à mon intervention une mise en scène musicale. Il faut donc l'intégrer, non pour le reproduire, mais pour la comprendre et soit s'y conformer soit introduire des décalages pour créer une puissance comique. Cela me passionne.
Cela restreint-il votre marge de manœuvre ?
Pierre Letessier : Non. Certes la musique impose des rythmes mais il est possible de les modifier. Il ne s'agit pas d'une contrainte mais d'une autre dimension. Et c'est ce qui m'intéresse est justement d'introduire une autre dimension sur la scène.
Quelle est la genèse de "L'opéra thérapeutique?"
Pierre Letessier : Je connaissais déjà, et appréciais, la première partie du spectacle qui avait été écrite par Isabelle Aboulker en 1984-86. Ultérieurement quand on m'a proposé de monter un spectacle pour le Festival Opéra des Rues qui se joue dans les 12ème et 13ème arrondissements parisiens début septembre, j'ai immédiatement pensé à cette partition. Ce travail m'a passionné et de là est né l'envie de créer un spectacle dans un format classique d'une heure. Nous avons donc ajouté à la première partie, issue d'un texte du 18ème siècle sur les gestes de survie, un texte du 19ème siècle sur la luxure qu'a déniché Isabelle Aboulker.
Nous avions donc une première partie sur la mort et une seconde sur l'amour, certes solitaire, qui sont deux des grands thèmes de l'opéra mais envisagés de manière différente puisqu'on explique comment ne pas mourir et qu'il faut surtout pas céder à la tentation de l'amour physique. Je voulais aborder le 3ème grand thème de l'opéra qu'est la folie et nous l'avons fait avec ce texte sur l'électrochoc que j'ai cherché après avoir lu Antonin Artaud.
Au plan technique, pour ces deux parties nouvelles, comment cela s'est-il passé au niveau de leur mise en forme et en musique ?
Pierre Letessier : Nous sommes partis sur les mêmes bases que pour la première partie. J'ai fait une première sélection de textes et j'ai écrit un livret que j'ai remis à Isabelle qui a commencé à écrire sa partition. Ensuite nous avons bien sûr travaillé de concert, un peu sous forme d'allers et retours qui me paraissaient la méthode la plus efficiente.
Ce spectacle comporte à la fois de la comédie, du mime, du clown, du chant qui se déclinent selon un registre essentiellement burlesque. Quels ont été les partis pris de mise en scène ?
Pierre Letessier : Il est vrai que le burlesque me fait rire et me touche et pour ce spectacle, dans la mesure où il n'y a pas d'histoire, puisqu'il s'agit d'une conférence didactique. Le propos médical est intéressant mais surtout au niveau de la construction rationnelle et logique d'un discours délirant qui me fascine. Alors bien sûr il faut l'entendre en tenant compte de la relativité de la vérité scientifique mais on peut dire des choses délirantes qui au point de vue de la grammaire et de la logique paraissent complètement correctes.
Et cette dichotomie m'interpelle en médecine comme à tous égards. Ce qui m'intéressait était d'écrire une histoire, un sous texte uniquement par le jeu et qui n'est pas dit. Tout ce qui se passe entre les personnages se joue uniquement par les corps, les regards et les intonations du chant mais point de paroles. La dimension burlesque me semblait totalement appropriée. C'est un spectacle sur le corps car la médecine est la maîtrise du corps.
Le rythme est très rapide, voire cinétique qui est aussi une connotation burlesque. Comment avez-vous choisi, et trouvé, les comédiens qui puissent à la fois jouer et chanter et assumer une partition aussi lourde ?
Pierre Letessier : Ce sont des chanteurs qui sont aussi comédiens parce que l'inverse serait plus difficile. Je connaissais déjà Lionel Muzin qui est un de mes compagnons de route de spectacles. Anne-Lise Faucon a été choisie sur audition et nous l'avons eu pour une reprise d'un autre spectacle. Marie-Louise Duthoit n'était pas une inconnue pour moi car nous avions travaillé ensemble dans un spectacle où elle faisait un très court rôle.
Les comédiens que nous avons rencontré ont parlé de votre nécessaire présence aux représentations du fait de la survenue de décalages, notamment du fait qu'ils jouaient en frontal, qui pouvaient compromettre le spectacle. D'où viennent ces décalages ?
Pierre Letessier : Tout dans le spectacle est réglé. Le burlesque est du comique visuel qui fonctionne à la seconde près. Une respiration qui n'est pas assez large entraîne un mouvement qui ne fait pas rire. Un décalage aussi infime soit-il dans un mouvement de tête empêche le rire de se produire. Cela tient à très peu de chose d'où la difficulté de ce spectacle pour les comédiens car c'est un spectacle très et ultra précis. Toute bonne volonté de bien jouer peut compromettre cette précison et par ailleurs l'autre écueil est de rester dans la mécanique qui fait que le spectacle n'est pas habité ce qui, là encore, ne fait pas rire. Ce sont de vrais numéros d'acrobatie.
Le spectacle est bien reçu tant par la presse que par le public ?
Pierre Letessier : Oui. Au niveau du public, le burlesque est un registre particulier dans lequel certaines personnes n'entrent pas du tout.
Le théâtre musical est-il plus difficile à "placer" auprès des directeurs de théâtre ?
Pierre Letessier : Pour notre premier spectacle, l'auteur, Offenbach, est un nom qui nous a permis de bien tourner. La difficulté pour "L'opéra thérapeutique" est que, mis à part Isabelle Aboulker qui est connue dans le monde de l'opéra, il n'y a pas de têtes d'affiche connues du grand public. Nous ne sommes ni Molière ni Offenbach qui sont par ailleurs des auteurs que j'adore. Mais je pense aussi qu'il faut monter des spectacles d'aujourd'hui. Donc nous continuons dans la voie de projets d'écriture et de créations contemporaines.
Les suites pour cet opéra ?
Pierre Letessier : Nous sommes en train de monter une tournée et auparavant nous jouerons fin juin au Théâtre du Rond-Point dans le cadre du "Festival Beaumarchais dans tous ses états".
Vos projets qui sont aussi ceux de votre compagnie ?
Pierre Letessier : Notre prochain spectacle sera une comédie de Plaute, auteur romain du 3ème siècle avant Jésus Christ qui écrivait du théâtre musical absolument génial et j'ai d'ailleurs fait une thèse en université sur la musique dans ce théâtre. Florence Dupont nous a traduit une comédie, Coralie Fayolle écrit la musique et il y aura sur scène des acteurs, des musiciens, une chanteuse lyrique et Lionel Muzin pour une création en septembre 2007 au Théâtre de Beauvais.
Notre Compagnie 1200 tours/minute est une compagnie de théâtre musical dont la finalité est de promouvoir le théâtre musical et la création contemporaine avec la volonté de donner corps à des voix chantées. Il s'agit d'une petite structure entourée d'un réseau de comédiens et de chanteurs qui, comme Lionel Muzin qui est un fidèle permanent, sont appelés à intervenir sur les spectacles. Je précise que cette compagnie n'a pas été montée uniquement dans un but administratif et juridique.
Avant de la créer nous en avons parlé et elle concrétise une réelle réflexion au niveau du sens et des projets à mener. Cela explique aussi pourquoi nous avons publié un livre autour de ce spectacle qui est disponible après le spectacle ou en nous contactant sur le site de la compagnie.