Il porte des lunettes, mais ne se cache pas derrière. Il a lancé la French touch, mais pourrait être anglais. Allemand. Européen. On l’attendait à la console et aux platines, le voila à moitié nu, aux claviers et à l’acoustique pour un album personnel et éponyme.
Le meilleur peut-être, car conçu comme un bras d’honneur à l’historique, coup de boule à la french touch, et croque en jambe de l’organique aux samplers.
Alex est aujourd’hui en rupture avec Gopher et impressionne par la maturité des compositions de ce quatrième opus véritable car chanté avec les tripes et le beat.
Rencontre avec Alex Gopher.
J’ai l’honneur de débuter la journée promo en France, j’apprends que tu reviens d’une session promo donnée à Berlin… Comment gères tu ce retour dans les médias ?
Alex Gopher : Ecoutes c’est peut-être une connerie de sortir l’album partout au même moment, car du coup je cours un peu partout (rires). Non sérieusement je pense que c’est pas mal, tout se passe en même temps, il y a une émulation, une synergie. L’album sors dans tous les pays européen en même temps, également au Japon, car étonnamment cela marche bien là-bas. C’est assez dépaysant.
Quel est le retour dans les médias étrangers sur cet - excellent - nouvel album ?
Alex Gopher : J’ai l’impression que c’est plus facile à l’étranger qu’en France. Cela a toujours été un peu le cas. La en Allemagne par exemple, c’est différent de l’appréhension française, qui voit notre musique sous le filtre french touch, quasiment 10 ans après… Ce qui me gonfle sérieusement (rires). En Allemagne, la presse généraliste semble aimer le disque, les gens se posent moins de questions, cherchent moins l’embrouille quoi. On est un peu plus loin des clichés.
La French Touch c’est un cliché pour toi ?
Alex Gopher : Oui, c’est totalement réducteur. C’est con mais c’est devenu Bob Sinclar. Au début, c’était Air, Daft Punk, des musiques très différentes, ce qui était la caractéristique de cette scène. Nous sommes aujourd’hui dans la récupération.
Cet album, parlons de nouveautés, semble être un putain de virage, lorgnant vers la pop sucrée de Phoenix. Quelle a été la raison de ce changement de cap ?
Alex Gopher : Je pense qu’il y a plusieurs raisons. Premièrement, j’en avais marre de composer de la être façon depuis plusieurs années, avec un séquenceur, à la recherche de samples, construire des morceaux comme ça. Après le projet avec Demon, j’avais l’impression d’avoir été très loin dans le coté électronique, il fallait que je change la manière de composer, sinon j’allais vraiment m’emmerder.
Et puis il y avait la frustration inconsciente, qui remonte à l’époque de notre groupe Orange (monté avec les membres d’Air dans les 80’), nous avons travaillé longtemps sur ce projet, mais rien n’est jamais sorti. D’où le mythe sur Orange peut-être (Rires).
Personnellement j’étais resté frustré de n’avoir pu sortir cette musique là. J’ai été le premier à me précipiter sur les ordinateurs et les samplers quand c’est arrivé, car cela était une manière de composer totalement nouvelle. Mais cette frustration m’était restée en travers, les maisons de disque nous avaient fermé leurs portes, Orange a commencé lorsque nous étions en première, vers 86, et nous nous sommes arrêté un peu avant Source Lab, vers 92 je pense. Voila. Je me suis donc consacré à l’électronique pendant 15 ans et finalement je suis revenu à mes premiers amours.
Dans un sens, les maisons de disque auront mis 15 à comprendre et accepter la musique d’Orange non, c’est assez ironique finalement ?
Alex Gopher : (rires) Bien sûr c’est une sorte de revanche. Déjà nous étions contents lorsque nous avons réussi à sortir notre disque instrumental, ce qui à l’époque était déjà un challenge à priori insurmontable, mais après lorsque j’ai vu Phoenix… Ok il y avait eu Air, Daft Punk qui chantaient en anglais, mais cela restait de la musique électronique avec des voix parfois traitées comme des instruments
Comme dans "Star Trek" et la voix de la chanteuse qui n’est qu’une machine.
Alex Gopher : (rires) Voila… ce genre. Et donc Phoenix ce sont les premiers à voir été un groupe pop français à marcher à l’étranger. On avait raison de persévérer. Il n’y a pas de raison qu’il y ait des groupes suédois ou allemands très bons qui chantent en anglais, et puis que les français n'aient pas le droit. Pour moi l’anglais reste la langue de la pop, le français permet des choses très bien Mais on n’a pas cette culture pop.
Si on revient deux minutes sur la french touch deux minutes, j’ai une certaine théorie. A savoir qu’on a un France à un moment donné un noyau dur de personnes (Air, Daft, Rob, Phoenix, toi) qui sont touchés par la grâce, et créent dans leurs caves une nouvelle musique, un peu comme le Kraut rock en Allemagne début 70’. Le genre qui aurait du bouleverser la donne de manière durable. Avec le recul, comment analyses tu le déclin de l’inventivité française ?
Alex Gopher : Je crois qu’on ne faisait pas une musique forcément facile, même si certains groupes ont cartonné à l’étranger. Air est peut-être assez accessible. Mais sinon, je me souviens lorsqu’on a sorti Superdiscount, pour nous c’était juste de la musique de club, et limite on ne s’attendait pas à un tel succès. Et finalement il y a eut un public. On a peut-être été frustrés, car à l’époque j’étais déjà chez V2, qui n’avait pas encore sa force de frappe qu’elle a aujourd’hui. Mais aucun regret, ce qui est fait est fait et cela reste une super période.
Sur l’album, j’ai cru comprendre que tu as collaboré avec Air qui assure certaines parties instrumentales, mais aussi Helena Noguerra… Je ne l’ai pas vraiment entendu, pourtant j’ai cherché.
Alex Gopher : C’est simplement car le Cd promo ne comprend pas de crédits (rires). Tu l’as entendu Helena quand même ?
Pas vraiment…
Alex Gopher : Sur 5000 moons, elle fait un speech en portugais en introduction. Paradoxalement elle parle tellement bien qu’on pense que c’est, de l’italien, on ne comprend pas que c’est du portugais. J’aurai put lui demander de chanter, forcément moi je lui ai demandé de parler ! (rires).
Ca c’est la première collaboration, Jean Benoît est venu sur les claviers, notamment "Out of the inside", le premier titre de l’album, Nicolas est venu sur les guitares. C’est d’ailleurs assez marrant car je ne suis pas très bon guitariste, et j’avais une session guitare assez syncopée.
Pour réussir à la jouer, je devais l’enregistrer sur Protools, avec forcément un coté très mécanique, robotique. J’ai demandé à Nicolas de l’enrichir, et il m’a dit que la façon dont cela tournait donnait un coté intéressant. Il avait raison, au final c’est un accident heureux. Il reste encore plein de guitares mal jouées sur le disque, mais que j’assume. J’aime bien l’imprévu, une certaine fraîcheur. Je voulais que cela reste un album artisanal, plein de naïveté. Forcément, Etienne de Crécy s’est mis à la production, et Olivier Libeaux (Nouvelle Vague) assure d’autres parties de guitares.
Justement, en tant que producteur, comment as-tu réussi à prendre du recul ? Réussir à ne pas avoir le réflexe de tout peaufiner, parfaire jusqu’à l’excès ? Ne pas avoir le syndrome Cassius quoi.
Alex Gopher : Exactement. Très bonne question. J’ai eu besoin de quelqu’un pour ça. J’ai commencé à produire moi-même dans un premier temps, je suis parti dans un truc qui a forcément pris du temps, avec énormément de pistes. Et au bout du compte je me suis rendu compte que je n’avais jamais confronté mes idées, avec quelqu’un qui m’aurait dit "Attends ce que tu fais c’est de la merde". Du coup j’ai demandé à Etienne de me donner un coup de main.
C’est débile car nos studios sont à coté et je n’y avais même pas pensé ! Et là, cela rejoint ce que tu disais, on a retiré les ¾ des pistes, on a refait des choses trop propres. Etienne a cette qualité la de garder la mélodie, il simplifie. Et quand tu es tout seul c’est très difficile de prendre ce recul. Voila pourquoi je prends souvent des gens pour m’aider, sinon ça tourne en rond.
Si on prend une chanson comme "Song for Paul", c’est carrément acoustique, loin de l’image qu’on peut avoir de toi.
Alex Gopher : Oui bah forcément tu te doutes qu’au départ il y avait 3000 couches de synthés (rires) ! Merci à Etienne. C’est le concept du "Less is more" qui marche bien.
Les trois et quatre titres de l’album évoquent Sébastien Tellier, dans l’utilisation de la basse sexuelle et langoureuse. C’est une influence ?
Alex Gopher : C’est quelqu’un que j’aime beaucoup, je ne sais pas s’il m’a influencé. Je pense que Sébastien c’est un peu la continuité de la Variété française de qualité, variété dans le sens noble du terme. Gainsbourien dans le physique, dandy. Il est très étrange et génial.
Pour finir avec la French Touch, Stephen Jourdain publiait voila quelques mois un essai sur le mouvement, en racontant les coulisses et le dénouement du phénomène. Penses tu vraiment que la French Touch s’en est allée ? Quelle est la relève ?
Alex Gopher : Je pense qu’il y a eut ce truc, au début du mouvement, ou nous avions besoin d’être puristes, de toucher un nouveau genre. Mais le problème est que quelques albums de trop se sont succédés, avec de mauvais producteurs. Ce qui a contribué à tarir le mouvement qui était pourtant bien lancé. Mais je retrouve aujourd’hui une certaine émulation dans la scène française, Justice et d’autres d’ailleurs. Une sorte de respect par rapport à la French Touch, des gens qui s’en inspirent pour créer une autre musique. C’est forcément flatteur.
J’essaie pour ma part de me "defrenchtouchiser", casser l’étiquette collante en allant vers l’instrumental brute de décoffrage. Cet album est fait pour être joué sur scène, je défendrai d’ailleurs les compositions au chant, ce qui est une grande première. C’est assez étrange mais aussi excitant, et c’est venu après des heures et des heures d’entraînement. Chanter, c’est de toute manière beaucoup plus compliqué que d’être derrière une table de mixage ! (rires). On se met à nu, c’est une prise de risque mais aujourd’hui j’ai besoin de cela.